LE JEU, LES MODES, LA FORME, LE SON, LES STRUCTURES DANS LES COMPOSITIONS ET LES SOLOS DE MILES DAVIS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La première source d'inspiration pour le son de trompette de Miles DAVIS, vient à la fois de son professeur, Edwood BUCHANAN, et du trompettiste Shorty BAKER. Une sonorité ronde et pleine, précise et généreuse et presque sans vibrato, qui correspond à un style pratiqué dés le milieu des années 30 dans les bateaux à aube qui naviguent sur le Missippi.

 

Le jeu de trompette de Miles DAVIS, sous l’influence de son ami et mentor le trompettiste Clark TERRY, se caractérise entre 1950 et 1965 par des phrases très rapides, par un jeu rythmique staccato, et un sens aigu du tempo que l’on peut qualifier de running style.

Miles explique que le son d’un dribble de basketball correspond à un rythme qu’il utilise parfois dans dans son jeu.

 

 

 

 

On retrouve une idée assez proche avec le rythme produit par les danseurs de claquettes que Milles affectionne tout particulièrement.

 

 

 

 

 

 

Le style et les solos de Prez, le saxophoniste ténor Lester YOUNG, dont le jeu très personnel et très fluide se caractérise par un phrasé souvent orienté autour d’une seule note, est assidument repiqué et analysé par Miles.

 

Dans les années 40 et encore aujourd'hui, le jazz Be Bop est exclusivement joué dans des petits combos de 5 ou 6 musiciens.
Le tempo des morceaux est extrêmement rapide, les thèmes et solos sont dynamiques et verticaux, et les accords changent plusieurs fois par mesures. L’harmonie donne lieu à des substitutions, beaucoup d'accords sont presque automatiquement changés, et certaines notes sont jouées uniquement dans les superstuctures, dans le registre aigu.
Dans les thèmes et les solos, le placement rythmique des phrases oscille entre temps faible et temps fort, et sur les contre temps.


Dés la fin des années 50, on remarque aussi dans son jeu et ses solos une grande liberté rythmique, un placement du phrasé légato et très aérien, des espaces parfois très longs entre les phrases, et une prise de risque très importante. Cette notion d'espace permet une mise en valeur du jeu des accompagnateurs et des solistes, et aussi une résonnance des notes d'une phrase à l'autre, dans l'esprit du fabuleux pianiste Ahmad JAMAL.

 

Miles DAVIS fait aussi flotter son phrasé "en l'air", c'est une des ses marques de fabrique, comme si, et seulement en apparence, il fesait fi du tempo, car son sens du rythme est un des plus précis qui soit.

 

La musique de l'orchestre de Gil EVANS et Miles DAVIS qu'on entend sur l'album BIRTH OF THE COOL, est un savant contrepoint dans lequel beaucoup de notes sont en suspension et en attente de résolution.
La structure des arrangements est distendue, il y a des mesures à trois temps et des étirements de la forme. L’ambiance rythmique des arrangements est toujours ternaire.
Miles est très bon et très à l’aise, on sent dans ses solos l’influence harmonique du Be Bop et la décontraction de son phrasé, son placement rythmique ternaire entrainent tous les musiciens. A partir de cette période, quand il phrase en double croches, le sens de ses phrases et la précision de son tempo font merveille.
Le style harmonique est très moderne, les dissonances sont nombreuses, et lorsque le tempo accélère on sent l’influence du phrasé de Charlie PARKER sur tous les solistes.

L’orchestre sonne différemment pour l’époque :
« Je voulais des instruments qui sonnent comme des voix humaines ».
La couleur et les timbres des instruments sont feutrés, chaque musicien phrase dans des voicings et des registres équilibrés.

« Notre point commun, c’était que nous jouions tous au fond du temps, sans vibrato ».
Mike ZWERIN

 

Miles DAVIS a toujours cette habitude de jouer en dirigeant sa trompette vers le sol, ce qui lui permet de profiter d’un retour du son et de mieux s’entendre.
Quand il joue un thème très lent ou un blues, on a toujours l’impression que la dernière note qu’il vient de jouer est la dernière de sa vie, un pénultième souffle...

La fragilité et la sensibilité du son de sa trompette sont reconnaissables, dans un rapport acoustique avec sa trompette bouchée lorsqu´il utilise une sourdine, et dans un son plus classique et brillant, voir français, Nouvel Orléanais, ou même brandebourgeois, sans sourdine.

 

« La sourdine métallique Harmon sans son tube : La sourdine doit être placée tout près du microphone, le son qui en résulte étant plein et haletant dans le registre grave et ténu et perçant dans l’aigu. Les deux registres peuvent dés lors être opposés l’un à l’autre pour accentuer l’effet dramatique. »

Ian CARR

 

 

 

 

En 1955, lorsqu'il fonde son merveileux groupe avec Red GARLAND au piano, John COLTRANE au saxophone ténor, Paul CHAMBERS à la contrebasse et Philly Jo JONES à la batterie, Miles DAVIS se rend compte que ce quintet de rêve va atteindre des sommets de musicalité jusque là impensés.
Musicalement, Miles confie à à son biographe Quincy TROUPE, son attrait pour le phrasé de Franck SINATRA, ainsi que pour les voix de Blosson DEARIE et Shirley HORN. La chanteuse Julie CHRISTY avec le grand orchestre de Stan KENTON, et plus récemment Helen MERRILL correspondent bien au goût de Miles pour un style de jazz et de chanteuses qui privilégient le sens de la mélodie et la précision thématique alliés à des voix très justes et détimbrées.


Très rapidement ce groupese met à sonner merveilleusement et à moderniser le jazz. Les improvisations s’allongent, les solos de Coltrane deviennent des nappes de sons.
Miles DAVIS propose des formes d’accords épurés, son style épouse Be Bop et blues avec toujours une belle clarté de son, il enchaiîne des mouvements et des phrases d’une vélocité extrême, avec des passages très lents, bluesy et très sensuels, il survole le quintet et pousse les musiciens à donner le meilleur d’eux-mêmes.

 

En décembre 1957, il entend de nouvelles formes et de nouveaux sons, il les a dans la tête et dans son imagination. Il veur donner un côté plus libre, plus modal, voire africain ou oriental au jazz. Il pense que dans la forme traditionnelle du quartet, peu de choses ont changées hormi dans la notion d’espace depuis Louis ARMSTRONG et surtout depuis le be bop, initié par Dizzy GILLESPIE, Thélonious MONK et Charlie PARKER.

 

Il souhaite demander aux musiciens de prendre plus de risques, et de s’exposer à une écoute plus attentive aux diverses sollicitations harmoniques et sonores qu’ils ressentent. Il leur demande également d’anticiper plus dans leur phrasé et leur jeu, d’être plus réactif.

De plus le public s’est peu à peu habitué aux nouvelles sonorités et à l’intensité rythmique du phrasé du be bop, ainsi qu’aux propositions artistiques de Ahmad JAMAL, (espace), de Lennie TRISTANO,(contrepoint rythmique) et de Miles DAVIS.

 

Ses différents quartets et quintets sont des laboratoires ludiques et géniaux au sein desquels se sont révélés de nombreux nouveaux talents qui ont fait reculer les frontières des différents styles de musiques de jazz et qui ont notablement marqués les nouveaux horizons de la musique moderne.

 

« Il n’y a que la musique pour être l’art comme cosmos, et tracer les lignes virtuelles de la variation infinie. »

 

Gilles DELEUZE, Félix GUATTARI.

 

 

 

 

Dans le système tonal ou diatonique de la musique de jazz, et dans la musique en général, les lois de résonnance et d’attraction déterminent des centres de polarisation à travers tous les modes, doués de stabilité et de pouvoir attractif.

Ces centres sont donc organisateurs de formes distinctes et clairement établies.

 

 

 

Souvent utilisé par Miles dans ses compositions, le mode mineur, en vertu de la nature de ses intervalles et de la moindre stabilité de ses accords, confère à la musique tonale un caractère ouvert, échappé et décentré.

Ce mode mineur fait donc valoir une certaine puissance modale irréductible à la tonalité, comme si la musique allait en voyage, s’évadait, le caractère nomade de la musique improvisée et du jazz se constituant.

 

 

 

Le chromatisme élargi, lié cette fois au jeu de trompette de Miles, substitue aux thèmes centraux de la musique une forme qui ne cesse de s’ouvrir, de se dissoudre et de se transformer. Les solos commencent alors à se libérer, et à s’identifier à la création en affectant non seulement les hauteurs de notes, mais aussi toutes les composantes du son : durées, intensités, timbres et attaques.

Dans un rapport à la musique amplifiée, l´utilisation fréquente d’une pédale wah wah, en studio puis sur scène, fait ressortir le côté électrique, plus agressif et Hendrixien des phrases courtes, jouées par Miles, des gruppettos chromatiques et sonores.

 

Miles écrit et joue n’importe quel accord, et n’importe quel son « de telle manière à ce qu’il ne sonne jamais faux, sauf si quelqu’un joue la mauvaise chose derrière ». Dans beaucoup de directions, les mélodies, les solis et les harmonies des thèmes de Miles Davis, vont être ensemencées par un nouveau germe qui retrouve les modes et les rend communiquants, défait le tempérament, et fond le majeur dans le mineur en éloignant le système tonal, la musique passe à travers les mailles de la forme.

L’idée est celle d’une libération du temps, d’un étirement, d’une musique flottante où les formes cèdent la place à des modifications de vitesse et de pulsions. Le climax, et le silence comme repos sonore marquent aussi l’état du mouvement. Plus l’œuvre se développe, plus les motifs musicaux entrent en conjonction, plus ils conquièrent leur propre plan et leur propre consistance.

 

D’après le musicologue David TOOP, la forme rythmique des compositions de Miles entre 1968 et 1974 repose sur une tendance progressive à aplanir les organisations hiérarchiques des rythmes, à relever les accentuations, comme dans un groupe de funk de James BROWN, ou dans une composition répétitive des années 70 écriite par Steve REICH.

 

Une importance égale et un espace réservé est alors assigné à chaque instrument et à chaque musicien.