DE 1926 A 1948, EAST SAINT LOUIS, RENCONTRE DETERMINANTE AVEC CHARLIE PARKER, LE JAZZ BE BOP ET LA 52e RUE A NEW YORK, JEUNESSE ET APPRENTISSAGE, LES ANNEES D’ETUDE

MILES DAVIS, JEUNESSE ET APPRENTISSAGE,
LES ANNEES D’ETUDES

Miles naît le 26 mai 1926 à Alton, dans l'état de l’Illinois, près de la ville de Saint Louis.

60 ans auparavant, les Etats du Nord de l’Amérique ont gagné la guerre de sécession contre les états du Sud, et l’esclavage a été aboli dans les faits, mais les propriétaires terriens n’ont pratiquement jamais redistribué de terres aux esclaves, et dans les campagnes le KKK fait régner sa loi. Miles DAVIS grandit dans un pays où la ségrégation est la norme, et où le racisme est monnaie courante.

 

« Toute ma vie, j’ai vu mon grand père menacé par les blancs ». Son grand père se fait expulser par des propriétaires terriens blancs, d’un terrain qu’il a pourtant dûment acheté.

En 1917, un massacre racial très violent envers la population noire a lieu dans la ville d’East Saint Louis, dans laquelle la famille de Miles s’installe en 1927. C’est une ville dans laquelle vivent de nombreux afro américains dont les familles sont issues de l’esclavage. D’autres populations venues de toute l’Europe y mènent aussi une vie très dure et très austère.
A proximité de cette ville, sur le Mississippi, passent les bateaux à aubes, ainsi que les musiciens qui jouent le jazz Nouvelle Orléans.

Miles DAVIS est issu d’une famille aisée, petit fils de comptable et fils de dentiste. Son père, fier de son appartenance raciale et affermi par son aisance sociale, est proche des idées de Marcus GARVEY, qui a su rassembler la communauté noire dans les années 20. Sa mère défend plus les positions du mouvement intégrationniste NAACP. Cette ascendance sociale positionne très tôt Miles dans un monde différend par rapport à de nombreux Noirs Américains d’East Saint Louis, et le fortifie d’un point de vue identitaire.

C’est de son oncle et de sa mère que lui viennent ses premières affinités artistiques, et aussi de son grand père. Ce dernier lui offre son premier cheval, ce qui explique peut être son goût immodéré pour les belles voitures. Miles prend très tôt l’habitude de s’habiller chic. Malgré cette absence de soucis matériels, il entreprend dés l’âge de neuf ans la vente du Chicago Defender, à l’époque le premier journal afro américain et commence à s’habituer à une certaine indépendance financière.

Dans sa jeunesse, et comme il le sera tout au long de sa vie, Miles est un fan de boxe et plus particulièrement du boxeur Joe LOUIS, qui est l’un des premiers héros et sportif noir américain reconnu aux Etats Unis.

Lorsqu’il a huit ans et comme c’est souvent le cas pour un jeune Américain, il découvre le jazz en écoutant une émission de radio d’un quart d’heure, tous les matins avant de se rendre à l’école primaire, Harlem Rhythms, ou il entend entre autres le trompettiste Louis ARMSTRONG, ainsi que les compositeurs Lionel HAMPTON, Count BASIE, et Duke ELLINGTON.

 

Sa mère lui achète deux disques de jazz, un de Duke ELLINGTON et l’autre du pianiste Art TATUM. Il découvre très tôt le blues lorsqu’il se rend à pied sur le chemin de l’église, mais est vite lassé par le discours ressassé inlassablement par les preachers et il délaisse très jeune les lieux de culte.

 

Il est aussi marqué par les chants et les sons de guitare de blues qu’il entend avec son grand père dans les années 1936-1937 dans la campagne en Arkansas. Dés neuf ans, il prend ses premiers cours particuliers de musique, son oncle ou un voisin de ses parents lui procure son premier cornet. A l’âge de 12 ans, Miles se débrouille déjà tout à fait correctement avec son cornet.

« A douze ans, la musique est devenue la chose la plus importante de ma vie. »

 

East Saint LOUIS et Saint LOUIS sont deux villes qui ont une forte tradition de fanfares de bugles et de percussions les « Drum et Bugle Corps », dans lesquelles le jeune Miles DAVIS fait ces premières armes. Voici ce que le biographe Ian CARR écrit du style traditionnel de trompette de la ville de Saint Louis, le Saint Louis Sound : « Un son rond, d’une belle clarté, qui fait chanter le cuivre, projeté et flottant dans l’air, avec un sens mélodique plein d’esprit, épigrammatique ». (qui se termine par une bonne note, comme dans les solos joués par Lester YOUNG).

 

Entre 1942 et 1946, il apprend la musique, avec le trompettiste Elwood BUCHANAN, qui a comme modèle Shorty BAKER, et s’est lui-même formé en jouant sur les bateaux sur le fleuve Mississippi.

« Une des plus belles choses qu’il m’ait apprise, c’est de jouer sans vibrato ».
« Je préfère une sonorité ronde sans effets, comme une voix sans trop de trémolos ni trop de basses. Pile entre les deux. Si je n’obtiens pas ce son là, je ne peux rien jouer ».

 

Miles a également la chance d’être formé par le renommé et excellent premier trompette du St Louis Symphony Orchestra dans l’Illinois, Joseph GUSTAT, ce musicien donne des cours à tous les grands trompettistes de l’époque, de Bix BEIDERBEKE à Buddy CHILDERS (orchestre de Stan KENTON) et Dizzy GILLESPIE. Ce professeur émérite lui recommande une embouchure Frank HOLTON, un modèle Gustav HEIM, qui arrondit le son dans le grave et le médium un peu au détriment du registre aigu, et dont Miles recherchera des copies toute sa vie.

Lorsqu’il a treize ans, son père lui offre sa deuxième trompette et il s’inscrit au syndicat des musiciens. C’est de cette période que date sa première rencontre avec le trompettiste Clark TERRY. Miles commence à se faire une réputation de bon trompettiste et à être localement très demandé, il sait déjà jouer la gamme chromatique. De ce fait, comme beaucoup d’apprentis musiciens, il délaisse les bandes, les gangs et les bagarres, ainsi que les activités sportives.

 

Miles récupère les disques usagés des juke-boxes, il écouterle saxophoniste ténor Lester YOUNG, et le guitariste Charlie Christian, de même qu’il voit jouer le grand contrebassiste Jimmy BLANTON, qui se fera embaucher en 1939 par Duke ELLINGTON.

 

A Seize ans, il fait une première petite tournée pour accompagner un musicien local et commence à jouer régulièrement pour un public noir à Brooklyn, petite ville et port festif situé sur le bord du Mississippi, il y gagne un peu d’argent.

Miles fait la connaissance d’Irène CAWTON avec laquelle il se lie pour de nombreuses années.

1943 A 1948, PREMIERS DEBUTS PROFESSIONNELS

Miles se fait embaucher par un des meilleurs groupes de Saint Louis, les Blue Devils du trompettiste Eddie RANDLE, le jeune Jimmy BLANTON est le contrebassiste du groupe. Miles DAVIS se met à arranger et à composer et devient à 16 ans le directeur musical de l’orchestre dans lequel il reste une année, et où il continue à gagner de l’argent.

 

 

Miles cotoie le joueur de bugle Clark TERRY, qui vient le voir et l’écouter jouer, une amitié indéfectible va lier les deux musiciens, ils font fréquemment des jam sessions dans tous les lieux de concerts reconnus de l’Illinois. Miles est aussi très proche d’un excellent et jeune pianiste de East Saint Louis, Emmanuel St Claire BROOKS, qui lui donne des cours de piano et d’harmonie, et avec lequel il forme un trio.

 

« Saint Louis, c’était comme un conservatoire ».

En 1944, les rencontres et les bœufs se poursuivent avec les trompettistes Roy ELDRIDGE, Kenny DORHAM, et surtout Fats NAVARRO, mais aussi avec Prez, le saxophoniste ténor Lester YOUNG, dont le jeu très personnel et très fluide, avec un phrasé souvent orienté autour d’une seule note, est assidument repiqué et analysé par Miles.

 

Le jeune Miles DAVIS est souvent sollicité, les propositions de concerts et de tournées sont fréquentes, venant entre autres du saxophoniste Sonny STITT et du chef d’orchestre Tiny BRADSHAW, toutes sollicitations que Miles décline, car il n’a pas terminé ses études et n’a pas l’autorisation de ses parents.

Toujours à East Saint LOUIS, Miles fait sa première rencontre musicale décisive en jouant avec l’orchestre de Eddy RANDLE. Il apprend à lire la musique à vue et a la chance de faire quelques remplacements, au début du mois de juillet 1944, dans le grand orchestre de Billy ECKSTINE, avec le trompettiste Dizzy GILLESPIE, le saxophoniste alto Charlie PARKER, le batteur Art BLAKEY, et la chanteuse Sarah VAUGHAN. Miles est complètement impresionné et abasourdi par ses musiciens et par leur style, qui vient de New York, le Be Bop.

«Je voulais être avec eux, ça se passait là où ils étaient, et ils étaient à New York.»

A la fin de la guerre, à l’automne 1944 et avec l’aide financière de son père, il s’installe à New York, Miles a 18 ans et il s’inscrit dans la prestigieuse JUILLIARD Music School.

NEW YORK, NEW YORK, 1945-1950
LE CHARISME DE CHARLIE PARKER
LE BE BOP REVOLUTIONNE LA 52e RUE

Installé à New York, et quelque peu déçu par les cours prodigués à la Julliard Music School, Miles cherche sur la 52e et la 118e rue à rencontrer et à jouer avec Dizzy GILLESPIE, Charlie PARKER, et Thélonious MONK, et à s’initier au nouveau style de musique qui révolutionne le jazz dans les années 40, le Be Bop.

 

Ce nouveau courant se crée sur un fond de tension sociale très forte entre les communauté noire et blanche. Il y a toujours des lynchages, et des « strange fruits » sont encore pendus aux arbres de la campagne américaine.
La ségrégation est toujours très forte, les musiciens afro américains jouent dans des clubs dans lesquels ils ne peuvent pas rentrer comme spectateurs. Lors de la première guerre mondiale, la présence de combattants noirs est dénigrée et minorée par les gouvernements. Les leaders syndicaux noirs font des pieds et des mains pour que dans les usines de Détroit, des ouvriers noirs puissent œuvrer pour l’effort de guerre. Des émeutes sanglantes dues aux problèmes de logement éclatent régulièrement dans les grandes villes.

 

Entre 1941 et 1943, pour les jeunes musiciens de jazz afro américains, le Be Bop représente une forme d’émancipation, ils tentent de s’éloigner du jazz mainstream de leurs ainés et des big bands. Ils veulent échapper à un formatage qui assimile le musicien de jazz à un amuseur réduit à épater la galerie des critiques et du public. Miles est très réceptif à ses idées. Par dessus tout, il cherche à rencontrer et à jouer avec GILLESPIE, BIRD, et MONK pour apprendre et comprendre le be bop.

Ce courant qui révolutionne le jazz est né dans les petits combos formés à New York par les jeunes musiciens afro-américains. Ces groupes permettent aux musiciens d’improviser plus longuement et plus librement que dans les big bands dans lesquels ils jouent habituellement.

Dans les années 40 et encore aujourd'hui, le jazz Be Bop est exclusivement joué dans des petits combos de 5 ou 6 musiciens.
Le tempo des morceaux est extrêmement rapide, les thèmes et solos sont dynamiques et verticaux, et les accords changent plusieurs fois par mesures. L’harmonie donne lieu à des substitutions, beaucoup d'accords sont presque automatiquement changés, et certaines notes sont jouées uniquement dans les superstuctures, dans le registre aigu.
Dans les thèmes et les solos, le placement rythmique des phrases oscille entre temps faible et temps fort, et sur les contre temps.

 

Miles DAVIS a la chance d'être dans la situation d’un d’étudiant fortuné, il s’installe dans un premier temps avec Irène CAWTON, et petit à petit il découvre la ville, les musiciens, les clubs de jazz, ainsi que certains lieux de perdition (Dewey Square), où il cherche Charlie PARKER.

 

Dans la 118e rue, le club noir branché est le Minton’s, tout jazzman en herbe doit tenter de s'y faire repérer.
Il y joue avec le trompettiste Fats NAVARRO et le vibraphoniste Milt JACKSON, et il commence à faire des bœufs, à jammer.


L’apprentissage réel du Be Bop se fait dans ces clubs de la 118e rue, le Three Deuces, le Club Down Beat, le Spotlite, le Royal Roost, le Bop City, le Clique Club(Birdland).

Le jeune Miles DAVIS fréquente assidument le Minton’s, où il rencontre la chanteuse pleine de sensibilité Billie HOLIDAY, ainsi que le saxophoniste ténor Ben WEBSTER.

 

Lorsque Miles, après maintes recherches finit par retrouver Dizzy GILLESPIE et Charlie PARKER, celui-ci est déjà dans un état terrible lié a une très forte dépendance à l’héroïne et à l’alcool, cependant ils resteront très proches jusqu’à la fin de la vie de Bird. Ce dernier lui fait rencontrer le pianiste et compositeur Thélonious MONK, dont les flottements harmoniques audacieux et reconnaissables entre tous, influenceront Miles dans le phrasé de ces solis de trompette.
Miles DAVIS considère Bird et le pianiste Thélonious MONK comme les génies du jazz des années 50
. Il commence à faire des bœufs et à se lier avec ces musiciens. Il sympathise aussi avec le grand saxophone ténor Coleman HAWKINS et aussi avec le trompettiste Freddie WEBSTER, qui lui trouve quelques remplacements.

Cette fréquentation des plus grands musiciens de jazz et de be bop de cette époque le met en porte à faux vis-à-vis de la Juilliard School, et de l’enseignement du jazz plutôt rétrograde de cette époque, dans lequel ni les œuvres des compositeurs Duke ELLINGTON, et Fletcher HENDERSON ne sont enseignées, bien que l’étude technique de la trompette y demeure de haute volée.

 

Tout en étant plus que réservé sur la Juilliard School, Miles s’étonne que les grands musiciens de be bop n’aient pas l’habitude d’emprunter des partitions dans les bibliothèques musicales. Il se trouve au croisement de plusieurs évolutions musicales et sociales. Jusqu’aux années 50, aux Etats Unis, l’enseignement du jazz n’existe pratiquement pas dans les universités. Le be bop s’apprend rarement avec des professeurs mais souvent en faisant des bœufs, en décortiquant des solos et en écoutant attentivement les solistes pendant les concerts.

 

Les musiciens noirs américains ont cet apprentissage de l’oreille qui vient de la grande tradition musicale du gospel, du blues, du new orleans et des big bands. Il n’est absolument pas dans leurs habitudes de se rendre dans des universités et des bibliothèques musicales, où leur musique est le plus souvent ignorée, voire totalement dénigrée, par les tenants des institutions et aussi par les musiciens classiques eux-mêmes, qui sont loin de posséder la culture de l’improvisation.

 

Dans les années 50, les musiciens et chefs d’orchestres de musique classique sont également plutôt réfractaires à la musique contemporaine américaine représentée par les compositeurs et chercheurs John CAGE et Morton FELDMAN.

1945, PREMIERS ENGAGEMENTS PROFESSIONNELS ET PREMIERS ENREGISTREMENTS

Miles fait des remplacements en 1945 dans les clubs le Spotlight, et le Downbeat, sur la 52e rue, et à Harlem, avec les groupes des saxophonistes ténor Eddie Lockjaw DAVIS, et Coleman HAWKINS.

A cette époque, il est possible d’improviser avec de grands musiciens de jazz, ces derniers sont beaucoup plus disposés à le faire que dans le monde d’aujourd’hui. Entre 1940 et 1945, dans les clubs de la 52e et 118e rue, la programmation et l’émulation sont incroyables, le même soir on peut parfois croiser, Art TATUM, Red ALLEN, Dizzy GILLESPIE, Charlie PARKER, Thélonious MONK, Erroll GARNER, Earl BOSTIC, Coleman HAWKINS, Lester YOUNG… les clubs sont petits mais pleins à craquer.

 

Le grand public découvre le jazz Be Bop, en écoutant des émissions de radio influentes. Cette particularité est inhérente à la musique de jazz et à la musique de tradition populaire afro-américaine. Les présentateurs qui animent ces émissions sont souvent aussi connus que les musiciens.
Certains programmes musicaux sont très suivis, de même que le sera à partir des années 70 une émission de télévision comme Soul Train.

 

 

Une forte tension raciale apparait autour du Be Bop. Les musiciens afro américains commencent à se lier librement à des femmes blanches. Les critiques musicaux, hormis Leonard FEATHER, et Barry ULANOV du magazine Métronome, voient d’un mauvais œil le be bop remplacer petit à petit dans le cœur du public le jazz mainstream, Swing et New Orleans. Il en va de même pour beaucoup de musiciens de jazz blancs.
Sur le front du Be Bop, Dizzy GILLESPIE, fatigué des absences à répétitions de Charlie PARKER, quitte son groupe, et c’est Miles DAVIS qui le remplace en concert dès octobre 1945.

 

En raison de la prohibition, une interdiction frappe les clubs de jazz, et interdit aux musiciens de se produire et d’enregistrer entre les années 1942 et 1948, mais en novembre 1945, Miles enregistre ses premières sessions importantes, les morceaux sortent en 78 tours sous le nom de Charlie PARKER pour le Label SAVOY, et plus tard sur l’album Charlie PARKER’S REBOPPERS. Dizzy GILLESPIE joue admirablement sur cet enregistrement.

 

Dizzy joue très vite, très bien et très haut, Miles DAVIS ne l’égale pas, il joue moins de notes et avoue à cette époque moins bien entendre le registre aigu de la trompette que GILLESPIE, qui reste encore un monstre sacré du be bop.
Miles a des difficultés de phrasé sur les tempos rapides et reste complètement sous influence, mais il a déjà un son rond. Il est plus à l’aise à mid tempo, déjà lyrique et bluesy dans le registre médium de sa trompette.

 

En concert, il garde l’habitude qui lui vient de East Saint Louis, de bien phraser entre les mélodies des solistes et des chanteuses qu’il accompagne, dans un jeu de question réponse. Il commence à sympathiser avec le jeune et grand batteur Max ROACH, qui est un des batteurs attitrés de Charlie PARKER, de nombreuses habitudes de jeu vont étroitement rapprocher Miles DAVIS et Max ROACH.

 

Avec l’accord de son père, Miles met fin à ses études à l’automne 1945. En 1946, le magasine Esquire a élu Miles DAVIS « New Star », dans la catégorie trompette et malgré son aversion marquée pour l’ensemble de la presse et des journalistes, cette nomination commence à l’affermir et à promouvoir sa notoriété.

PREMIERES RENCONTRES SUR LA COTE OUEST DES ETATS UNIS, RETOUR A NEW YORK

Début 1946, alors que l’aura du jazz Be Bop commence à atteindre la côte ouest des Etats Unis, Miles est engagé sur une courte période dans l’orchestre du saxophoniste Benny Carter. Ils jouent à Los Angeles, mais Miles ne pense qu’à retrouver Charlie Parker, ce qu’il finit par faire en compagnie du contrebassiste Charlie MINGUS. Ils se lient d’amitié et enregistrent sous le nom de Baron MINGUS. C’est aussi de cette période que datent les célèbres enregistrements pour le label DIAL de Charlie PARKER avec Miles DAVIS.

 

Mais sur la côte ouest des Etats Unis les temps sont durs pour un musicien afro américain. Miles trouve quelques gigs avec le saxophoniste ténor Lucky THOMPSON, mais il n’existe que peu de lieux pour jouer et pour gagner de l’argent.
De plus lorsque Charlie PARKER se retrouve interné pour désintoxication à l’hopital, c’est un choc, et un peu la fin d’une époque pour beaucoup de musiciens beboppers.

 

Dans le même temps, le célèbre crooner chef d’orchestre et chanteur Billy ECKSTINE, qui tourne avec ses dix neuf musiciens dans la région de la baie et dans tous les Etats Unis, embauche Miles et le ramène à New York, il restera dans l’orchestre jusqu’au début de l’année 1947. C’est sans doute en jouant avec cet orchestre et surtout grâce à la fréquentation de Billy ECKSTINE, que Miles se rend compte qu’un musicien peut remplir des salles (ballroom) et gagner de l’argent.

C’est aussi à cause de la rencontre avec les musiciens de ce Big band, qu’ont lieu ses premiers essais de cocaïne et d’héroïne. L’extrème toxicité de ces drogues, alliée à l’argent et à l’addiction de Billy ECKSTINE, font que Miles devient malheureusement et rapidement amateur de drogue dure.

 

Toujours en 1947, il enregistre sous le nom Miles DAVIS all Stars recordings, pour le label SAVOY, puis pour le saxophoniste ténor Coleman HAWKINS.
Il joue dans la section de trompettes de l’orchestre de Dizzy GILLESPIE, une section de rêve, avec Freddie WEBSTER, Kenny DORHAM, et Fats NAVARRO, cet ensemble de merveilleux musiciens fonctionne admirablement pour les danseurs des clubs. Il enregistre aussi un disque dans la section de trompettes du saxophoniste Illinois JACQUET.

 

En avril 1947 et toujours à New York, Miles intègre à nouveau le quintet de Charlie PARKER, ce dernier qui sort de cure, a momentanément retrouvé une bonne forme. PARKER possède cette faculté qui lui permet de déplacer et d’alterner ses phrases rythmiquement sur les temps forts ou sur les temps faibles, et sur toutes les parties d’un temps. Son jeu se distingue par l’usage de phrases denses et courtes qu’il démarre et termine sur n’importe quelle partie d’un temps ou d’une mesure.

 

En mai 1947, le groupe enregistre plusieurs morceaux dont le célèbre thème Donna Lee. Dans son autobiographie écrite avec Quincy TROUPE, Miles DAVIS s’attribue l’écriture de ce thème. dont la structure harmonique est inspirée par Back Home Again in Indiana, publié en janvier 1917 et composé par James Fréderic HANLEY.

Le premier enregistrement du morceau Donna Lee est réalisé le 8 mai 1947 pour le label Savoy avec Charlie PARKER et le pianiste Bud POWELL.

 

Miles raconte cette histoire : Charlie PARKER, convie les musiciens de son groupe à répéter, pendant une semaine dans un studio, afin de préparer une série de concerts dans le club Three Deuces. Mais Bird ne vient jamais répéter et disparaît pendant toute cette semaine, durant laquelle Miles « prend les répétitions en main ». Le soir du concert, Charlie PARKER arrive très en retard, mais il joue tous les morceaux très vite et sans rater une seule note du début à la fin, et il se permet aussi de se moquer des musiciens qui pour certains ont fait quelques erreurs !

Miles devient donc à 22 ans le directeur musical du groupe de BIRD. D’autre part, le fait de constamment faire des bœufs et de rencontrer des musiciens venus d’horizons musicaux différents, mais qui veulent tous jouer avec Charlie PARKER, contribue à le faire progresser de manière fulgurante.

1948 marque la fin de l’âge d’or des concerts de jazz pour la 52e rue à New York, Miles et le batteur Max ROACH deviennent las du côté mauvais payeur-arnaqueur-toxicomane de Charlie PARKER. Musicalement, ils sont aussi tous deux déçus par le pianiste Duke JORDAN, qui se trompe toujours aux mêmes endroits, et qu’ils auraient aimés remplacer par Bud POWELL. « L’un des plus grands pianistes du siècle ».

Malgré le niveau musical exceptionnel de Charlie PARKER, ses excès et bouffonneries en tout genres excèdent Miles, de plus il faut toujours que les musiciens insistent et pleurent auprès de Bird pour être payés ; Miles quitte le groupe à la fin décembre 1948. C’est aussi l’époque ou il sympathise avec le grand et sympathique saxophoniste ténor, Dexter GORDON.