DE 1980 A 1986, WE WANT MILES DAVIS, LA LEGENDE DU JAZZ EST DE RETOUR

THE MAN WITH THE HORN

Les Etats Unis des années 80 ne sont pas un modèle de démocratie, l’élection d’un maire noir à Atlanta en 1982, représente un pas en avant, mais l’accession de Colin POWELL au poste de chef d’état major des armées est une catastrophe. Il n’est qu’un fantoche de l’administration Reagan, comme le sera plus tard Condeleezza RICE.
Tout l’argent de l’état va à l’industrie de l’armement, au détriment de la santé et de l’éducation. L’ingérence du gouvernement des Etats Unis est obscène en Haïti et dans toutes les dictatures de l’Amérique du Sud.
Les inégalités se creusent, la violence dans les villes devient endémique, les ghettos sont la norme dans un système de classe où les laissés pour compte sont légion. Les drogues sont de plus en plus dures, le crack et l’ice déciment la jeunesse pauvre des grandes villes.

 

Fort heureusement Miles DAVIS s’éloigne petit à petit des galères de la drogue. Avec l’aide de Cicely TYSON, il commence à changer de vie.

En 1979, Charlie MINGUS meurt, en 1980, c’est le tour du pianiste Bill EVANS, Miles DAVIS reste un des dernier géants du jazz et il se rend compte qu’il est devenu une légende, c’est un artiste génial qui transcende les styles et les époques et qui s’affirme comme une tête de file incontournable dans la musique du XXe siècle.

 

Miles DAVIS reprend la musique au printemps 1980, il recommence à jouer en compagnie du groupe de son neveu, avec entre autres musiciens Robert IRViNG III aux claviers et Felton CREWS à la basse.
Il impose surtout l’excellent saxophoniste soprano et ténor Bill EVANS qui lui a été recommandé par Dave LIEBMAN.

 

En 1981, un autre groupe est constitué avec le batteur Al FOSTER, le guitariste Barry FINNERTY et le percussionniste Sammy FIGUEROA.


Bill EVANS propose à Miles DAVIS un nouveau bassiste, Marcus MILLER.

 

Gil EVANS, l'ami de toujours, assiste aux répétitions.
Miles DAVIS reprend confiance en lui, il retravaille sa trompette et son embouchure.

Le guitariste électrique Mike STERN, qui sort du prestigieux Berklee College of Music de Boston, remplace Barry FINNERTY.

Le groupe s'étoffe avec l'arrivée du génial percussionniste Mino CINELU.
Miles se retrouve dans l’efficacité des rythmes du funk, et apprécie fortement la grande virtuosité et la technicité époustouflante des jeunes improvisateurs qui l’entourent et l'épaulent.

 

Tous ces fantastiques musiciens l'accompagnent pour la création d’un nouvel album : The Man with the Horn.
Miles DAVIS compose les thèmes Back Seat Betty, Aïda et Ursula, et renoue avec le producteur Téo MACERO. L’album a un côté funk plus commercial qui va séduire un nouveau public, mais les aficionados de la période électrique des années 70 ne suivent plus.

Mike STERN est impérial sur le morceau Fat Time, le son de sa guitare saturée et son phrasé hard bop dynamisent le morceau et rejaillissent sur tout l’album.
Angela BOFIL et Randy HALL chantent sur le titre phare.
Miles DAVIS tourne avec Marcus MILLER, Mike STERN, Al FOSTER et Mino CINELU ! C’est l’un des meilleurs groupes dans lequel le bassiste Marcus MILLER ait jamais joué.

EN CONCERT, WE WANT MILES

Pour son retour, le premier concert de Miles DAVIS a lieu au Kix à Boston en juillet 1981, l’album We want Miles est en partie enregistré à cette occasion. Il reprend contact avec Jim ROSE et Chris MURPHY, ses roadies préférés, et décide de renouer avec la scène aux Etats Unis au printemps 1981. On the road again, avec sa Ferrari GSTI jaune canari.
Boston, Newport, New York et huit concerts au Japon lancent le sextet avec l’album The Man With a Horn, qui sort en automne 1981. Le grand retour officiel a lieu sur scène lors du Kool Jazz Festival de Newport.

Miles DAVIS continue encore à sortir et faire la fête mais ses problèmes de diabète font qu’il doit commencer à faire très attention à l’usage de l’alcool. De plus en plus souvent les docteurs lui demandent d’arrêter drogues, alcool et tabac, sinon il va droit à la catastrophe, il a de plus en plus régulièrement besoin de piqures d'insuline pour lutter contre le diabète.


Le groupe renoue avec la scène Européenne en mai 1982, le premier concert en France au palais des sports de Lyon est génial, Miles a le funk et son groupe sonne merveilleusement, les sons de guitare saturés et joués dans un esprit hard bop par Mike STERN font merveille.

Miles DAVIS est de plus en plus critique vis-à-vis du jazz mainstream, qui pour lui devient une pièce de musée. « Quand j’entends aujourd’hui des musiciens de jazz reprendre les plans que nous utilisions il y a si longtemps, j’en suis triste pour eux ».
Il renvoie les journalistes à leurs chères études en disant qu’essayer de comprendre et de relayer les nouveaux musiciens de jazz et de funk des années 80, « C’est trop de boulot pour eux ».

En 1982, Miles DAVIS se tourne vers le rap, et il écoute assidument de la pop, du rock, et le funk de PRINCE.

 

La tournée mondiale se poursuit aux Etats Unis, l’album live We Want Miles marque les esprits, c'est le grand retour de Miles DAVIS sur scène.

Les rythmiques funk et Dub de Marcus MILLER et Al FOSTER, de même que l’esprit des percussions de Mino CINELU, les solos endiablés de Mike STERN, le placement rythmique et la pulsion du saxophone soprano de Bill EVANS, font merveille.
L'impression que Miles DAVIS, à la fin de ses solos est en train de jouer la dernière note de sa vie, fait de cette série de concerts un des grands moments de sa carrière.

 

L’album The man with the horn marque le retour de Miles après cinq ans d’absence, mais c’est surtout avec We want Miles que ce retour est probant.
Trois morceaux se détachent de l’album : Back seat Betty, Jean Pierre, et Fast Track. Le morceau Jean Pierre, dédié au fils de Frances TAYLOR, est un peu le tube de l’album et des concerts, avec le thème détourné dodo l’enfant do, la ritournelle fait un retour en force. C’est aussi une recréation du morceau Petits Machins qui figure sur l’album Filles de Kilimanjaro.

 

A la fin de la tournée mondiale de 1982, Miles DAVIS est fatigué, il a mal sur tout le corps et une première attaque cardiaque lui immobilise la main droite, il doit arrêter simultanément drogues alcool et cigarettes, il doit même cesser de faire l’amour sous peine de subir une nouvelle attaque cardiaque.

Finalement, au bout de six mois, à force de natation, de traitement à base de médecine chinoise, d’alimentation végétarienne, et de soins hospitaliers, les doigts de Miles DAVIS reprennent vie.

Pendant les tournées mondiales, de 1982 et 1983, Miles DAVIS commence à peindre et à dessiner. Cette nouvelle activité artistique lui sert d’exutoire, avec lequel il compense une nouvelle abstinence de fait avec les drogues, l’alcool, et le sexe...

L’album We Want Miles reçoit un grammy award en 1982, et Miles est élu musicien de jazz de l’année par Jazz Forum.

STAR PEOPLE

En février 1983, Miles DAVIS termine l’enregistrement de l’album Star People. Le subtil guitariste John SCOFIELD, prend quelques solis de guitares aérés, ancrés dans le blues et le jazz, plus que dans les sons saturés et le rock’n roll joués par Mike STERN. Les deux guitaristes se complètent admirablement même si sur scène, pendant les concerts, une sensation demeure : qui des deux joue le mieux et le plus vite pendant les chorus...

 

L’album reste orienté sous le signe du funk, avec les morceaux Come Get It et surtout U N l. La basse slappée et électrique de Marcus Miller est toujours présente, c’est une musique très rythmique dans laquelle les solistes doivent s’immiscer pour se faire entendre.
Une forme classique de blues reprend le dessus avec le morceau Speak. Il en va de même avec le morceau Star People dont la forme et le thème deviennent récurrents dans tous les concerts de Miles DAVIS jusqu’à la fin de sa carrière.

C’est en fait le compositeur Gil EVANS, qui reprend des phrases des solos de john SCOFIELD, et qui transforme Star on Cicely, Speak et It gets Better en morceaux complets, dans un concept initié depuis les années 40 par Duke ELLINGTON.

Star People est le dernier album de Miles DAVIS produit par Téo MACERO pour Columbia.

 

Marcus MILLER, très sollicité dans le monde entier pour ses qualités impressionnantes de bassiste électrique et de producteur, mais aussi pour sa gentillesse sa bonne humeur et son esprit blagueur, quitte le groupe de Miles DAVIS afin de voler de ses propres ailes.
C’est un musicien et producteur talentueux qui gère en grand professionnel et en grand leader ses groupes et ses projets musicaux, avec des productions quelquefois un peu trop orientées « Las Vegas ».

Autre particularité de l’album Star People, les premiers dessins de Miles DAVIS sont reproduits sur la pochette, ce qui se reproduira pour d’autres disques et notamment pour AMANDLA.

1983 DECOY, 1984 YOU’RE UNDER ARREST

Au début de l’année 1983, Miles DAVIS est à nouveau admis à l’hôpital pour une nouvelle opération de la hanche, puis il subit une pneumonie, et s’arrête de jouer pendant six mois.

 

En mai, Miles DAVIS embauche un jeune et talentueux bassiste de 19 ans, Darryl JONES.

Toujours en 1983, le batteur Al FOSTER quitte le groupe qu'il ne trouve plus assez jazz à son gôut. Il n’a plus de place pour faire des solos, la musique devient trop pop et surtout trop binaire pour lui. Miles DAVIS le remplace par son neveu, Vincent WILBURN.

 

Le formidable et très sympathique saxophoniste ténor et soprano Branford MARSALIS est également embauché pour quelques sessions d’enregistrement de l’album Decoy.

Un jeu de chaises musicales s'installe, car le saxophoniste Bill EVANS quitte le groupe en novembre 1983. Branford MARSALIS prend de beaux solos sur les morceaux Decoy et That’s Right, mais refuse de s’engager plus avant dans le groupe.
Dans ses arrangements, Miles DAVIS fait de plus en plus doubler les parties de cuivres par un ou plusieurs synthétiseurs.

Avec raison, il a toujours privilégié la présence du batteur afin de maintenir des moments de tension et de détente pendant ses concerts. Il désire garder une bonne dynamique et pour entretenir l'attention du public durant toute la longueur de ses spectacles, et le batteur et le percussionniste est souvent indispensable.

« Quand on joue live, il faut entretenir l’intérêt, et pour ça un grand batteur est préférable à une machine ».

 

En 1983 avec l’album Decoy, le virage musical s’accentue aussi vers le Hip Hop et le Funk. Des morceaux comme Code M.D., Freaky Deaky, What it is, et That’s Right font à nouveau décoller les ventes.

L’album Decoy possède une orientation sonore et stylistique marquée vers la pop et le funk, dans lequel l’usage des synthétiseurs et des sons électroniques se généralise. La production est plus léchée que dans Star People, et l’éloignement avec l’univers du jazz se fait sentir.

 

Les inimitiés, entre d'un côté Miles DAVIS et de l'autre côté son label Columbia et le trompettiste Wynton MARSALIS, deviennent de plus en plus fortes.

Une fois de plus la presse oppose les deux leaders, le moderne versus le classique, mise en opposition habituelle dans le monde de l'industrie musicale, de la concurrence, du broadcasting et de l’argent.
Du coup l’album You’re under arrest est le dernier que Miles DAVIS enregistre pour le label Columbia. Pour les sessions et les concerts, Bob BERG remplace Bill EVANS au saxophones ténor et soprano.

Dans l'ambiance et le concept, la promotion et la photo de pochette de l’album, Miles DAVIS est proche de l'idée de révolte et d’indignation propre à n’importe quel projet de rap : Pousser un cri contre la discrimination et dénoncer « les problèmes des noirs avec la police où que ce soit ».

 

Miles en a toujours marre de se faire régulièrement arrêter et contrôler par la police, avec sa Ferrari à 60 000 Dollars.

A la manière des membres du mouvement Hip Hop, le dessein de l’album répond aux provocations policières auxquelles Miles DAVIS est fréquemment soumis, comme n’importe quel membre de la communauté afro américaine.


Sur les morceaux One Phone Call Street Scenes, on entend des collages de sirènes, de cliquetis de menottes, de crissements de pneus, et une mise en scène des nombreuses interpellations et arrestations faites par la police, Sting fait la voix d’un policier français.

Toujours à la manière des rappeurs, Then There Were None dénonce les problèmes plus que jamais d'actualité de pollution mondiale. Le fameux morceau Jean Pierre termine l’album avec un montage d’explosion nucléaire, puis Miles DAVIS s’exclame « Ron, i have said to push the other button ! »

You’re under arrest se vend à plus de 100 000 exemplaires, essentiellement grâce aux reprises de chansons pop, Human Nature de Michael JACKSON et Time After Time de Cindy LAUPER.

Même si l'esprit mélodique de ces chansons demeure, l’idée de ces thèmes repose sur un concept plutôt commercial de reprises de ballades et de chansons à la mode.
En extrapolant un peu, et en remontant dans une tradition de standard liée au jazz, un grand nombre de chansons puisées dans les comédies musicales de Broadway a aussi servi de répertoire de fond à beaucoup d'artistes depuis les années 30.

 

Miles DAVIS s’impose encore comme un leader incontesté dans le monde de la musique du milieu des années 80. Paradoxalement, son idée des années 70, avec laquelle il veut se rapprocher du public afro américain, prend forme sur certains morceaux, et avec l’agressivité et le look des photos de pochettes d’albums. Le côté commercial de sa musique s’accentue avec les reprises de ballades.

One Phone Call Street Scene, Intro MD1 et Katia sont les meilleurs morceaux. Pendant les concerts, avec une reprise comme Time after time de Cindy LAUPER la mélodie revient en force, alors que la prépondérance mélodique avait pratiquement disparue et s’était considérablement amoindrie dans les compositions, sous une forme aussi littérale, depuis la période électrique entre 1972 et 1975.

 

Miles DAVIS peint de plus en plus, il fréquente les musées et les ateliers d’artistes et sous l'influence de Abdul MATI et de Jean Michel BASQUIAT, il commence à se constituer une collection de peinture.
Une toile de BASQUIAT qui coûtait 10 000 Dollars il y a 20 ans, s'est récemment négociée 7,2 Millions de dollars.

 

En 1985, Miles DAVIS abuse de pâtisseries, achetées en France, et il a une très grave crise de diabète qui entraine dés lors des piqures quotidiennes d’insuline, et de nouveaux problèmes avec les services des douanes de nombreux pays. Mais ses rapports avec sa femme Cicely TYSON se dégradent à vitesse grand V.

 

Sur scène, le percussionniste Steve THORNTON, remplace Mino CINELU.
Le bassiste Darryl JONES décide de quitter Miles DAVIS pour continuer à jouer avec le chanteur STING, qui peut mieux le payer. Miles ne peut retenir cet excellent bassiste, il se sent un peu triste et vieillissant, quelques années plus tôt lui même quittait le saxophoniste Charlie PARKER pour voler de ses propres ailes…

Le guitariste John SCOFFIELD quitte aussi le groupe avec beaucoup d’amertume, le thème principal du morceau You’re under Arrest vient de l’un de ses solos mais il n’est aucunement crédité, ni en espèces sonnantes et trébuchantes, ni sur les notes de pochettes.

AURA

En décembre 1984, Miles DAVIS est honoré par un prix au Danemark à Copenhague, le prestigieux Sonning Price. Il en est très fier car d’illustres musiciens et chefs d’orchestre ont reçu ce prix tels Léonard BERNSTEIN, et Aaron COPLAND. A cette occasion, le guitariste Danois Pale MIKKELBORG reçoit une commande de la radio nationale, pour une pièce orchestrale dont chacune des parties correspond à l'une des couleurs d’un arc en ciel.

Aura, qui est le dernier album de Miles produit par le label Columbia, est enregistré au début de l’année 1985 mais ne sortira qu’en 1989.

 

C’est plus un album concept du guitariste Pale MIKKELBORG, qu’un album de Miles, qui apparait comme « super soliste ». On pourrait qualifier la musique d’Aura de jazz rock atmosphérique du nord de l’Europe, parfois proche des ambiances éthérées du label ECM.
Malheureusement le son envahissant et surtout daté de la batterie électronique, renforce le côté fade de ce disque.

 

Miles DAVIS lassé de la politique commerciale de Columbia, qu’il juge décalée et inégale à son égard par rapport au trompettiste Winton MARSALIS, signe un contrat avec une autre grosse machine, la WARNER, pour une somme évaluée à 1 000 000 de dollars.
En 1986, Miles DAVIS a soixante ans. « Les gens de ma génération n’achètent même plus de disques ».

En fait il arnaque la Warner, il signe un contrat d’édition d'un million de dollars où il cède l’ensemble de ses droits d’auteurs pour tous les disques à la maison d’édition de Warner, mais à partir de ce moment, tous les morceaux qu’il compose sont crédités au nom des musiciens qui jouent avec lui !