DE 1971 A 1979 MILES DAVIS ELECTRIQUE FUSION DU ROCK ET DU JAZZ, LE GROOVE ET LE FUNK, 1975, TRAVERSEE DU DESERT

1971, LA CONSECRATION

En 1971, Down Beat consacre Miles DAVIS, meilleur jazzman, meilleur trompettiste, et meilleur groupe, mais les tournées le fatiguent physiquement et sa hanche le fait de plus en plus souffrir.

 

Il se plaint de plus en plus de la politique commerciale du label COLUMBIA, qui lui semble trop orientée vers la promotion des artistes blancs. Le fait que Aretha FRANKLIN ait quitté COLUMBIA pour le label ATLANTIC au début des années 60, le conforte dans cette position.

 

Miles DAVIS se rend compte que le public afro américain ne connait pas la musique de Jimi HENDRIX, et il pense de plus en plus à pousser ses compositions vers le funk et vers un public qui écoute le rythm’n blues et la soul des labels MOTOWN et STAX records.

 

Il se met à la recherche de musiciens qui vont dans ce sens. Dans son groupe, le percussionniste MTUME remplace Airto MOREIRA.

 

Le batteur de George CLINTON et de Parliament Ramon FULWOOD remplace Léon CHANCLER, et les concerts succèdent aux concerts, le groupe de Miles DAVIS joue avec le Band de Bob DYLAN.

 

Miles DAVIS, qui se produit dans les grands festivals et dans des grandes salles ne veut plus jouer dans les petits clubs de jazz, de plus, entre 1970 à 1972, il gagne encore plus d’un million de dollars par an avec le label COLUMBIA.

Mais fin mars 1970, Miles est malade, aux problèmes avec la cocaïne s’ajoutent un ulcère à l’estomac, des douleurs articulaires et surtout des calculs rénaux qui le force à se faire opérer et à stopper quelques mois les concerts et les tournées.

1972, ON THE CORNER

Avec l’album suivant, en juin 1972, Miles DAVIS continue à vouloir toucher un nouveau public, jeune et blanc qui va aux concerts et écoute du rock, mais aussi un public afro américain qui écoute le funk de James BROWN et la soul music de SLY AND THE FAMILY STONE.

 

 

 

L’air du temps est aux semelles compensées et les compositions de l’album On the Corner sont tendues, répétitives et psychédéliques.

L’influence de la musique indienne est très forte, et la culture de la ville de New York est aussi très prégnante dans la densité des sons, dans une espèce de funk urbain afro-américain, les riffs aérés de basse électrique et les boucles commencent à préfigurer ce que sera le hip hop.

 

Miles DAVIS se rapproche une nouvelle fois du compositeur et violoncelliste Anglais Paul BUCKMASTER, il l’invite à séjourner chez lui à New York.
Par son entremise, il prend connaissance des concepts et des théories de Karl Heinz STOCKHAUSEN sur le rythme et l’espace, et développe des idées de formes abstraites sur une rythmique au tempo régulier.

 

Les recherches harmolodiques d’Ornette COLEMAN et Don CHERRY commencent à tenter Miles DAVIS.

 

« Une musique où il est question d’espace, de libre associations d’idées musicales liée à une sorte de noyau rythmique et de traits de basse ».

 

Miles DAVIS rentre en studio avec des canevas composés en collaboration avec BUCKMASTER, mais à l’intérieur du studio, la qualité et la maturité des musiciens fait que l’improvisation et le funk prennent le dessus.

Les premières sessions d’enregistrement datent de mars 1972, dans le coffret The complete On The Corner, la dernière session date de Mai 1975.

Dave LIEBMAN est convoqué par Miles, il arrive dans le studio, et commence à improviser alors que les bandes tournent, Miles lui glisse juste « Eb(mib) » dans l’oreille.

 

La difficulté d’écoute On the corner, vient peut être de l’impression de déroulement d’une seule longue plage, à l’intérieur de laquelle l’improvisation souvent collective repose sur les sonorités électriques et sur l’intensité de jeu, un peu comme dans le free jazz mais avec une rythmique funk très psychédélique et pleine de tension.

C’est une fois de plus un style musical très nouveau pour l’époque. Des lignes de basse similaires reviennent sur chacun des morceaux, un groove étrange s’installe et préfigure les expériences des débuts de la drum and bass, un seul motif, avec de nombreux breacks et des changements d’ambiance de son plus que de forme harmonique (voir Ed RUSH, et les expérimentations avec les compositions de Cosmik Connection).

Mais le disque se vend mal, COLUMBIA le cible vers un public jazz, alors que Miles sent bien que ce n’est pas du tout le type de public qui va s’intéresser à l’album. Dans les années 80, le disque est redécouvert et il continue à bien marcher jusqu’à d’aujourd’hui.

En s’inspirant de Karl Heinz STOCKHAUSEN, Miles demande à ses musiciens de tenir un tempo régulier, sans tenir compte des absences et des retours partiels de structure rythmique, et des silences de la rythmique, que Téo MACERO coupe à la demande de Miles, c’est le time feel.
Les musiciens ne doivent plus forcément réagir s’ils sont sollicités par un phrasé ou une ambiance sonore qu’ils entendent
. Miles DAVIS continue à repousser, contracter ou étirer le canevas habituel de huit mesures pour la construction des thèmes, qui se confondent avec les rythmes et les solos.

 

On peut faire un parallèle entre les attitudes jusqueboutistes d’Ornette COLEMAN, et de Miles DAVIS.

 

Une déconstruction thématique, une arythmie, une polyrythmie, et une écriture instrumentale non conventionnelle. Ils repoussent tous deux les limites de la forme du jazz, renforcent la notion de climax, mais ils se ferment aussi à un public non averti, et fan de jazz classique.

 

Durant les concerts, Miles DAVIS bascule complètement sur l’électricité et l’amplification, et de jouer des riffs et des grooves construits sur des instruments électriques. Avec sa trompette, et sa pédale wah-wah, son jeu se rapproche de celui d’un guitariste électrique Hendrixien, il est influencé par le jeu et le son teintés de blues et de moments dissonants de John Mac LAUGHLIN. Les phrases sont plus courtes, plus rythmiques et plus resserrées.

Les grooves et les motifs sont répétés de manière hypnotique et chaque musicien participe au son d’ensemble.

L’arrivée du batteur AL FOSTER, qui remplace Jack DEJOHNETTE pour les concerts renforce cette écriture rythmique, FOSTER est extraordinaire, il joue aussi bien dans un style binaire que ternaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En janvier 1973, Miles DAVIS tourne avec Dave LIEBMAN. Voici ce que le saxophoniste décrit à propos de cette période :

« (…) Il m’a fallu des mois pour vraiment entendre ce qui se passait dans cette musique et comprendre quelle y était ma place. Il fallait trouver tout seul ce qu’on devait y faire. Miles ne disait presque rien à propos de la musique (…) Quiconque se trouvait à portée pouvait par osmose, faire passer la force de conviction et l’assurance de Miles dans son propre jeu. (…) Il se suffisait de se concentrer et de rester sur le qui-vive, l’oreille à l’affût, prêt à se jeter dans la mêlée quand son tour venait ».

Miles joue des rafales de notes, des gruppettos jamais réverbérés, des mélodies proches de la ritournelle et de la comptine, et ses phrases sont parfois très espacées les unes par rapport aux autres.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il dirige les musiciens le dos tourné au public, en faisant des signes du corps pour changer le tempo, demandant à un musicien de prendre un solo, où pour que la rythmique marque des arrêts au milieu d’une phrase. Il ponctue la musique de clusters (accords de secondes) joués sur un orgue Yamaha.

Dans le son, les effets de chorus et de delay sont utilisés sur le son du saxophone, le percussionniste MTUME fait parfois tourner une boîte à rythmes, avec des grooves rock et funk qui tournent sur toute la longueur des morceaux, et même parfois sur toute la durée des concerts, des superpositions de rythmes apparaissent et tous les morceaux sont enchainés.

 

Miles DAVIS fait aussi jouer le guitariste Pete COSEY, excellent musicien de studio du label de blues CHESS, qui a été le soliste des grands bluesmen Howlin WOLF et Muddy WATERS.

 

 

Mais les performances live du groupe sont moins convaincantes et plus difficiles d'écoute que les sessions d’enregistrement des albums, les improvisations sont très bruitistes. La musique est proche de celle que fera plus tard le saxophoniste John ZORN avec les reprises d’Ornette COLEMAN, du jazz core.

A cette période que Miles DAVIS joue en alternance avec les saxophonistes Carlos GARNETT, Sonny FORTUNE, et Dave LIEBMAN, et avec les guitaristes électriques Reggie LUCAS, rythmique(producteur de Madonna), Pete COSEY, soliste, qui jouent ensemble dans le groupe.

Le guitariste Africain et Français Dominique GAUMONT participe aussi à quelques concerts.

 

TOURNEE AUX ETATS UNIS AVEC HEAD HUNTERS SEXE DROGUES ET JAZZ, FIN DE PARTIE

Grosse ombre au tableau, dès 1972, la santé de Miles DAVIS va déclinant, son addiction aux drogues et à l’alcool devient de plus en plus forte. Il continue à prendre de plus en plus de cocaïne, et il devient de plus en plus dépendant et tendu, comme en témoigne une vidéo où on le voit diriger quelques séances d’enregistrements de l’album On the Corner, il doit aussi prendre régulièrement des calmants.

Entre 1971 et 1973, Miles DAVIS devient réellement dépendant à la cocaïne, il use et il abuse de tout, il doit annuler quelques concerts et il frise la catastrophe à plusieurs reprises, accidents, problèmes à la hanche, au larynx, ulcère, il doit aller régulièrement à l’hôpital, le regard des autres et de ses proches devient difficile à supporter.

 

En 1974 et jusqu’au printemps 1975, Miles DAVIS fait une longue tournée Américaine, dans toutes les grandes villes, en première partie du groupe de Herbie HANCOCK, HEADHUNTERS.

 

 

 

 

Cette série de concerts est un gros succès public, malgré les gros problèmes de Miles DAVIS.
De plus, à cause d’une overdose de drogues, il est contraint d’annuler une soirée à laquelle il participe lors d’une série de concerts au Mexique en juin 1974

 

 

 

 

Le nom des albums et des morceaux de la fin de cette période électrique qui correspond à l’année 1975, est le reflet du mysticisme important et de l’état de dépendance aux drogues dans lequel se trouve Miles DAVIS.

Agharta, Pangaea, sont dans une espèce de forme musicale d’une densité inextricable, à la fois très dense et très improvisée.

 

 

L’album ESP, qui sort dans les années 60, est aussi en correspondance avec des sources mystiques issues de continents perdus ou disparus, utopies plus ou moins inventées par Miles DAVIS et digne du mythe de Cthulhu de H. P. LOVECRAFT. Mais sur cet album Miles est dans une montée en puissance, tandis qu’en 1975, il sent une nouvelle fois qu’il n’est plus que l’ombre de lui-même.

 

En octobre 1975, Miles annule tous ses concerts à venir. L’addition de problèmes de santé, d’addiction aux drogues, de fatigue physique dues aux tournées, et d’une forme de saturation artistique, poussent Miles à se retirer du circuit des concerts et des studios.

1975 1979, TRAVERSEE DU DESERT

« De 1975 à 1980 je n’ai pas touché mon instrument ».

Dans ces années de déprime et de remise en question, Miles est malade physiquement, il est de plus en plus fatigué par ses problèmes de hanches, qui entrainent une claudication. Il est déprimé pour n’avoir pas pu se rapprocher du grand public afro-américain. Il pense avoir fait le tour de ce qu’on peut faire avec une trompette, et dans le jazz.

 

Miles DAVIS a des accès de paranoïa intense, sa consommation de cocaïne est très importante, plus de cinq cent dollars par jours dans le pire des cas, il est aussi accro à certains médicaments et il boit beaucoup de bières et de cognac. Il alterne cocaïne et somnifères et se retrouve parfois enfermé « dans le pavillon des dingues du Roosevelt Hospital ».

 

De plus, lors d’un accident de voiture, Miles se casse les deux chevilles, et comme il se déboite régulièrement la hanche, il doit se faire poser une nouvelle prothèse. Rajouter diabète, inflammation des articulations, ulcère à l’estomac, pneumonies et nouveaux nodules sur les cordes vocales….. Miles est sérieusement malade. Rien ne va plus. Miles vit comme un ermite, retranché sur lui-même, et reste souvent seul chez lui avec la télévision allumée 24 heures sur 24.

Il rencontre des difficultés relationnelles énormes avec ses enfants et ses ex femmes. « En 1978, je suis retourné en prison pour non paiement de pension alimentaire ».

Miles finit quand même par avoir marre d’être tout le temps défoncé, et en 1978, après 3 ans de galères il songe à renouer avec le label COLUMBIA pour un enregistrement, avec l’appui du producteur George BUTLER, un ancien du label Blue Note. Durant l’été 1979, Miles n’a plus d’électricité dans son appartement, il s’éclaire à la bougie. Paul BUCKMASTER qui tire la sonnette d’alarme auprès de sa sœur Dorothy et de Cicely TYSON, tous s’efforcent de faire le vide autour de lui.

 

Le neveu de Miles, Vincent WILBURN, s’installe en 1978 à New York, et lui apporte une aide précieuse.
Il joue de la batterie, pose beaucoup de questions et demande tout le temps des conseils à « Oncle Miles ».

Avec l’aide de Cicely TYSON, Miles DAVIS recommence à se nourrir convenablement, à moins boire et à freiner petit à petit sa consommation de cocaïne.

En 1979, le label Columbia et le producteur George BUTLER lui offrent un nouveau piano.