DE 1970 A 1972, JACK JOHNSON, LE FUNK LIVE EVIL, L'ILE DE WIGHT, BIG FUN

1970, JACK JOHNSON, LE FUNK, LIVE EVIL

Du 18 février 1970, jusqu’au 4 juin 1970, Miles enregistre en plusieurs sessions la musique du film Jack JOHNSON.

 

Le fan de boxe Miles DAVIS compose la bande originale du film sur la vie de ce grand boxeur. La boxe est très importante dans la vie et dans l’imaginaire de Miles. DAVIS. Son premier colocataire Stan LEVEY, et le pianiste Red GARLAND sont d’anciens boxeurs professionnels.

 

Joseph ZAWINUL raconte qu’avec Miles, ils passent plus de temps à comparer les mérites respectifs des grands champions de boxe qu’à disserter sur les musiciens de jazz.

 

Voici ce qu’écrit le journaliste Vincent BESSIERES, rédacteur en chef du magazine Jazzman :

« Selon une pensée communément partagée dans la communauté afro-américaine, le sport et la musique sont, dans le contexte racial des Etats Unis, les seuls domaines où un noir puisse triompher (dans les années 70)".

 

La boxe est aux yeux de Miles DAVIS, le sport qui se rapproche le plus du jazz. Il apprécie l’individualité des styles, la souveraineté des hommes sur leur talent, la discipline physique et mentale que requiert la performance.

 

 

Surtout, il voit dans la boxe une école de l’exigence dont les fondements –précision du geste et réactivité dans l’instant- nécessitent un apprentissage de longue haleine mais ne sont rien, sans " la liberté de l’inspiration, le coup de génie, la botte secrète ".

« La boxe a marqué la résurrection du musicien (…) rendant manifeste l’articulation entre la pensée musicale et son expression ».

 

Au départ, les séances d’enregistrement de Jack Johnson sont prévues sans aucun clavier, c’est le guitariste John Mac LAUGHLING que Miles DAVIS imagine comme référent pour l’ambiance électrique de l’album.
Le son et le feeling du guitariste servent de pivot et de base à beaucoup de prises, mais Herbie HANCOCK est rapidement mis à contribution.
Le coffret qui reprend la totalité des sessions est un bijou électrique et il expose, pour l’année 70, un des projets les plus novateurs que Miles DAVIS ait réalisé.

 

La particularité et la nouveauté vraiment importante de la bande originale de Jack JOHNSON, est le changement de batteur. Buddy Miles est pressenti, mais c’est finalement Billy COBHAM qui joue et le changement est de taille.
Le style de batterie est binaire et le rythme de la musique devient binaire, on peut commencer à parler de grooves pour les boucles que les musiciens créent en improvisant.

Cerise sur le gâteau, le génial bassiste électrique Michael HENDERSON est finalement pressenti pour les séances d’enregistrements.
C’est le premier bassiste réellement électrique employé par Miles DAVIS et il amène l’esprit rythmique du funk en conjonction avec Billy COBHAM.

 

Le morceau Go Ahead John figure à la fois sur Jack JOHNSON et sur l’album Big Fun.
Miles DAVIS enregistre à la même période le morceau Duran qui sortira sur l’album Directions, et qui est aussi un hommage au grand boxeur Panaméen Roberto DURAN.

 

Le 2e CD de l’album Miles DAVIS, Live at the Fillmore East, est une bonne représentation d’un concert live de Miles DAVIS à cette époque. Dans ces albums live, où l’on entend conjointement Chick COREA et Josef ZAWINUL aux claviers, Miles DAVIS entame un nouveau processus artistique. Les deux musiciens apprennent très vite à jouer l’un avec l’autre. « Ça déménageait vraiment ».

 

En juin 1970, Miles entre en studio pour préparer l’album Live Evil.

 

Il continue son aventure électrique et s’appuie toujours sur le son du piano Rhodes Fender, sur lequel il improvise de plus en plus librement comme « sur un coussin de sons ».

Le morceau What I Say est un bon reflet de l’album, où le groove et le rythme sont mis en avant.
Les sessions d'enregistrement sont aussi réalisées en décembre au Cellar Door à Washington.

 

Le succès des ventes phénoménales de l’album Bitches Brew fait que Miles continue à tourner dans les grands festivals où il joue très souvent en première partie du guitariste Carlos SANTANA, et il sympathise avec ce dernier. In A Silent Way et Bitches Brew, sont pour Miles Davis un tournant artistique, qui va d’une part influencer toute la musique de jazz électrique, et d’autre part élargir considérablement son public.

 

Encore une fois, en jouant avec des pédales d’effets Miles pousse les musiciens qui travaillent avec lui et ceux qui l’écoutent à changer leur manière de jouer. Aller de l’avant est constitutif de sa marque de fabrique, et de son évolution constante.
Une nouvelle fois il modernise et élargit l’horizon de la musique du XXe siècle.

 

Le groupe joue brillamment en Angleterre au Festival de l’Ile de Wight le 29 août 1970, devant plus de 400 000 personnes.

« Keith et Jack dictaient l’orientation des sons, ce qu’ils jouaient, les rythmes qu’ils installaient. Ils changeaient la musique, puis la musique débouchait sur autre chose ».

 

Après ce concert, Miles DAVIS et Jimi HENDRIX décident d’un rendez vous à Londres pour discuter d’un disque, Gil EVANS est sollicité pour les arrangements, mais les embouteillages au retour du Festival sont tels que cette ultime rencontre n’eut jamais lieu.

Jimi HENDRIX meurt à Londres le 18 septembre 1970.

MICHAEL HENDERSON

A l’automne 1970, Chick COREA et Dave HOLLAND quittent le groupe.

Le fabuleux bassiste électrique Michael HENDERSON, vient alors ajouter sa touche de précision et son feeling funk.
Il vient des groupes de Stevie WONDER et d’Aretha FRANKLIN.

Son touché de basse est très novateur, tous les bassistes électriques de renom, de Marcus MILLER à Jaco PASTORIUS, en passant par Daryl JONES l’ont écouté.

Le rappeur Snoop Doggy Dog a allègrement pillé ses morceaux les plus récents

 

On entend toutes les notes qu’il fait, il est capable de jouer un morceau entier en jouant toujours le même riff, Il improvise avec ou sans effets, le son de sa basse électrique est précis et il peut être mordant ou souple.

C’est le bassiste idéal pour Miles DAVIS, qui renforce ainsi sa démarche du côté de la culture soul et rythm’n blues afro américaine. Michael HENDERSON a le funk.

 

Pour les concerts, Gary BARTZ remplace Steve GROSSMAN aux saxophones, et Miles DAVIS cherche à embaucher le guitariste John Mac LAUGHLIN.

Afin de se rapprocher des textures sonores de Jimi HENDRIX, Miles utilise de plus en plus fréquemment la pédale wah-wah.

Keith JARRETT aux claviers, Léon CHANCLER à la batterie, Don ALIAS et James FOREMAN aux percussions, complètent le groupe pour une tournée Européenne.
Mais les problèmes de style, d’égo, les inimitiés en tout genre et sans doute aussi les problèmes d'addictions et de résistance des uns et des autres aux drogues et à l’alcool fragilisent le groupe.

 

Sur scène, les solos sont beaucoup moins nombreux.
La forme traditionnelle avec un thème et un solo disparaît au profit d’une texture sonore plus compacte et d’un son d’ensemble proche de champs d’intensité colorés.

Hauteurs, timbres, effets de saturations, densité.

D’une manière générale la construction musicale et thématique se fait en général autour d’un seul accord, ou autour d’une seule famille d’accords, et les instrumentistes jouent à la fois de manière rythmique et mélodique.

 

 

Les groupes de jazz rock et de fusion commencent à apparaître, Lifetime avec Tony WILLIAMS, Weather Report avec Wayne SHORTER et Josef ZAWINUL, Return to Forever avec Chick COREA, Stone ALLIANCE avec Steve GROSSMAN, et MWANDISHI avec Herbie HANCOCK, Mahavishnu Orchestra avec John Mac LAUGHLIN sont les points de mire du nouveau jazz électrique.

Ces groupes sont époustouflants en concert, et le succès commercial de ces projets, parfois basé sur une technique instrumentale quelque peu démonstrative ne se dément pas jusqu’au milieu des années 90.

DE 1969, A 1972 ET 1974, BIG FUN

Les albums Bitches Brew, Jack JOHNSON et Big Fun, constituent un tout, même si Big Fun sort en 1972 et est réédité dans les années 2000.
A une exception près, le morceau Ife, enregistré en 1974, tous les enregistrements sont réalisés entre novembre 1969 et juin 1972. Le batteur Al FOSTER intervient pour la première fois sur un album de Miles, sur le morceau IFE.
Pour tous ces albums, c’est comme si on avait un seul projet artistique, avec plusieurs déclinaisons et avec pratiquement les mêmes musiciens qui reviennent sur les sessions d’enregistrement.

 

Selon le critique et rédacteur de pochettes Ralph GLEASON :
« La musique électrique est la musique de cette culture, de l’éloignement de formes adoptées par le passé une nouvelle forme de musique est en train d’émerger. L’ensemble de la société est dans ce cas, les anciennes formes ne sont plus adaptées, cela ne concerne pas les vielles vérités éternelles, mais les vieilles structures, voilà la vraie excitation artistique. »

 

Sur scène et en studio, tous les musiciens disposent d’effets qui déforment leur son, puis en studio, le producteur Téo MACERO fait des montages sonores avec les enregistrements réalisés et les flux d’intensités sonores qui en découlent. La structure et la forme des morceaux deviennent complètement éclatées. La musique de Miles devient petit à petit essentiellement rythmique, l’inspiration des musiciens liée aux textures électriques des effets est de plus en plus géniale.

 

Avec le morceau Great expectations, enregistré en novembre 1969, les musiciens indiens Khalil BALAKRISHNA et Bihari SHARMA, respectivement joueurs de sitar et de tablas sont invités à participer aux enregistrements.
Une mélodie très simple est répétée ad libitum, l’effet hypnotique est très musical.



La qualité des sons et la modernité des ambiances font de ce morceau répétitif et ésotérique un vrai bijou de jazz à dominante indienne.

Les morceaux de l'album sont de plus en plus longs, certains reprennent plusieurs fois la même forme, le même motif, le même tempo, la même couleur sonore, sans pour autant faire sentir une répétition marquée. L’album Big Fun, est ni plus ni moins qu’une suite à Jack Johnson, In A Silent Way et Bitches Brew, comme si la proximité des dates d’enregistrements et des sorties de disques ne constituent qu’un seul grand projet artistique.

 

 

L’éclatement de la forme est complètement évident, dans le morceau Lonely Fire, on a à la fois une ambiance de musique indienne, lente, dépourvue de métrique stricte comme aujourd’hui dans la musique indienne, et on a également une ambiance latine, voir andalouse avec certaines tournures d’accords de Chick COREA.
Mais l’ensemble est surtout très planant et très répétitif.
Avec le morceau Recollection, du clavier Joseph ZAWINUL, on est toujours dans la répétition, mais aussi dans une beauté thématique incroyable de pureté, avec de magnifiques notes jouées au bon moment, dans une espace et une durée juste, on retrouvera cet esprit mélodique avec d’autres collaborateurs de Miles DAVIS, comme avec le poly instrumentiste et compositeur Ermeto PASCOAL par exemple.