1987 A 1991, UN PETIT TOUR DE HIP HOP ET PUIS S'EN VA

1987, COLLABORATION AVEC PRINCE

Depuis son retour à la scène en 1981, Miles DAVIS ne tarit pas d’éloge sur PRINCE. Il le place haut dans son estime en le comparant à un Duke ELLINGTON des années 90, pour les couleurs musicales, et à Thélonious MONK pour l'écriture rythmique.
Il le considère aussi comme le grand musicien afro américain, capable de transcender tous les genres et d’avoir toujours une influence de soul music dans ses compositions et dans ses productions.

 

PRINCE fait de la Dance Music, du rock et du funk, et il collabore aussi avec des rappeurs et des DJ’s dès le milieu des années 80. De la même manière que James BROWN, il travaille avec des batteurs qui utilisent un kit de sons électroniques. Sur scène, il y a souvent deux batteurs, l'un avec une batterie acoustique et l'autre avec un équipement électronique.

De plus PRINCE appartient aussi à l’écurie WARNER, dont il est aujourd’hui l’un des membres du directoire. Miles voit en lui, une figure majeure de la fin des années 80, celui qui fait danser le monde de la nuit.

 

Dans la ville de Minnéapolis PRINCE travaille dans un ensemble magnifique de studios et de salles de concerts qu’il a fait construire, et qui lui appartiennent. Miles DAVIS et PRINCE participent ensemble à un concert de soutien pour des SDF pour le nouvel an 1987-1988. Ils jouent à minuit, et une vidéo pirate existe où ils jouent le morceau Full Nelson.
PRINCE aurait voulu faire un album complet avec Miles, il aurait aussi projeté le montage d'une tournée commune avec leurs groupes respectifs.

 

Grosse ombre au tableau, pendant ces moments idylliques, Gil EVANS meurt, frappé par une péritonite. Toujours empreint de mysticisme, Miles DAVIS dit converser avec Gil EVANS par delà le monde des morts, dans un monde des esprits qu’il ne cesse de convoquer depuis le décès de Charlie PARKER, de tous les monstres sacrés du jazz, et aussi de ses parents, qu'il a vu rejoindre le Styx.

« (…)Gil reste dans ma tête, comme Jimmy, Trane, Bud, Bird, Mingus, Red, Paul, Wynton,(…) Philly Joe,(…) je les entends toujours, je peux aussi me mettre dans leur tête ».

 

« La musique touche à l’esprit et au spirituel, au sentiment ».

 

« Quand je veux voir ma mère, mon père, Trane, Gil ou Philly, ou qui que ce soit. Je me dis simplement - Je veux les voir -, et les voilà qui apparaissent, et je leur parle ».

 

 

Miles DAVIS considère à juste titre que si Gil EVANS s’était installé dans un autre pays que les Etats Unis, aux Pays Bas ou au Danemark, il aurait été considéré et aidé à sa juste valeur, par exemple comme un trésor vivant peut l'être au Japon.

1988, 1989, SIESTA, AMANDLA,
DES PRODUCTIONS SIGNEES MARCUS MILLER

Le film Siesta, et la bande originale qui porte le même nom sortent en 1988. Le film est un échec commercial, et la bande son enregistrée en 1987 porte la griffe de Marcus MILLER.

 

Miles DAVIS fait aussi du cinéma et de la télévision, il compose la musique de Prisoners, un épisode de la série télévisée Alfred HITCHOCK Presents, et quelques morceaux du film Street Smart de Jerry SCHATZBERG.

ll joue dans une épisode de la série Miami Vice, et il cachetonne dans le film Dingo de Rolf de HEER, et pour des parties de trompette sur des musiques de Michel LEGRAND, il joue aussi sur la BO du film de son ami Dennis HOPPER, Hot Spot.

En 1988, Miles est honoré en Espagne de l’ordre de Malte. Sans doute décoré pour ses Sketches of Spain, il est également reconnu comme l'éminent représentant de la culture afro américaine et du jazz.

 

C’est aussi malheureusement à ce moment là que le torchon à scandales qu’est le star publie que Miles DAVIS est atteint du sida, mais il a surtout une très sévère broncho pneumonie.

 

Miles DAVIS continue à beaucoup tourner, mais les concerts ne sont presque plus dans l’esprit de l’improvisation et du jazz, les grooves prennent le dessus ; les solistes, Bob BERG et Mike STERN, beaucoup moins présents sur scène, ont déjà quittés le groupe.

Miles a des lubies de diva, lors d’un concert à Clermont Ferrand, il demande au dernier moment un repas japonais pour 100 personnes, mais quand le repas arrive, il n’y touche pas. Un peu plus amusant, lors du même concert, il note les musiciens sur un panneau pendant leurs solos, puis il montre la note au public, mais quand c’est son tour de jouer, son solo est moyen, il est un peu gêné et jette ostensiblement le panneau au sol.

 

Miles DAVIS se sépare du bassiste Darryl JONES, qui devient à son goût un peu trop présent, il embauche alors le bassiste de PRINCE et de Carlos SANTANA Benny RIETVELD.
Le percussionniste Mino CINELU subit le même sort, il se met trop en avant pendant ses solos pour continuer à jouer au sein du groupe.
L’attitude de ses deux excellents musiciens se comprend parfaitement, il est impossible de brider des musiciens de cette envergure, même si Miles DAVIS pense un peu arbitrairement qu’ils tirent trop la couverture de leur côté.


Pendant les concerts, l’ascendance des parties rythmiques funk sur les parties solistes se fait sentir.
Depuis l'album We want Miles, les grooves, les riffs et les tournures rythmiques sont mis en avant et savamment travaillés.


Miles reste électrique dans ses choix de musiciens, avec le joueur de Stick bassiste et guitariste Ken FOLEY, et il continue à employer le batteur Ricky WELLMAN qui a fait du funk et de la go-go music avec Chuck BROWN and The Soul Searchers depuis les années 70.

Le groupe tourne avec deux claviers, le plus souvent Bobby IRVING, Adam HOLZMAN, et aussi John BEASLEY, Kei AKAGI et Joey DEFRANCESCO. Les percussionnistes Ruby BIRD, Marilyn MAZUR, Munyungo JACKSON, John BIGHAM, sont de la partie.
Miles emploie aussi son fils, Erin DAVIS, et il double parfois le pupitre de saxophones avec le ténor Gary THOMAS, mais c’est surtout l’altiste Kenny GARRETT qui l’accompagnera jusqu’à la fin de sa carrière. Un autre altiste, Rick MARGITZA, joue durant l’été 1989.

 

Kenny GARRETT est un excellent soliste qui a fait ses preuves au sein de l’orchestre de Art BLAKEY et de l’orchestre de Mercer ELLINGTON. C’est maintenant aussi un compagnon de route de Chick COREA.
Miles le laisse beaucoup improviser il est dans une position de super soliste et son jeu est très varié.

Au milieu de ses solos il joue très souvent un riff funky, où une petite cellule répétitive qu’il décline et décale rythmiquement sur les contre temps, et entre temps faible et temps fort, comme dans un déplacement de pulsion rythmique sur de petits gruppettos.
Un peu sous l’influence du saxophoniste Macéo PARKER, Kenny GARRETT répète ces motifs pour faire pulser, bouger et avancer la rythmique et pour capter l’attention du public.

Son phrasé, de même que le balancement de son corps d'avant en arrière n'est pas sans rappeler John COLTRANE, mais avec une prise de risque moins orientée vers le free jazz. Sa mise en place rythmique est irréprochable, son détaché est ultra rapide.
Sa complicité avec Miles DAVIS fait qu’il prend de longs solos et qu'il termine très souvent les morceaux.

 

Pour le montage et l'élaboration des concerts et des tournées, les répétitions sont rarissimes, la plupart du temps, les musiciens doivent apprendre les thèmes en faisant tourner et en écoutant les enregistrements de concerts et de répétitions disponibles, Miles a la chance de côtoyer de jeunes musiciens extraordinaires et talentueux.
Il prend beaucoup de plaisir sur scène même si son côté mauvais garçon est toujours présent lorsqu'il côtoie les organisateurs de concerts ou qu’il arnaque le guitariste John SCOFIELD.

D’autre part Miles apprécie fortement la manière dont les musiciens s’habillent pour jouer sur scène. Il se relâche, joue un peu moins et compense partiellement en s’habillant de manière extraordinaire avec des costumes du Japonais Kohshin SATOH, où bien en saluant le public et en se livrant parfois à des extravagances qu’il a jusqu’alors toujours renié, mais le temps passe… En 1989, Miles cesse complètement de prendre de la cocaïne, il était temps !

 

En 1989 sort l’album Amandla, toujours sous la férule du bassiste et producteur Marcus MILLER. Miles intervient essentiellement en tant que soliste, comme il le fera dés lors sur la plupart des enregistrements sur lesquels il figure. L’album est très lent et sous l’influence peut être un peu trop marquée du label Warner et du producteur aux visées commerciales Tommy Lipuma.
Comme Siesta, l’album est mélancolique, mais la plupart des mélodies sont consonantes et typées, l’ambiance harmonique n’est pas aussi audacieuse, mineure et chromatique que dans les albums précédents.

 

Le soliste le plus présent est l’altiste Kenny GARRETT, l'excellent batteur Omar HAKIM amène une touche binaire, le morceau Mr PASTORIUS ou Miles joue sans sourdine est sans doute le plus émouvant de l’album.

 

Miles peint de plus en plus et commence a bien vendre sa peinture dans des galeries internationales, une de ses toiles va jusqu’à atteindre 15 000 dollars.

Dans certaines de ses toiles et dans quelques collages, l’influence de Jean Michel BASQUIAT continue à se fait sentir, surimposition, réappropriation, inclusion d’éléments culturels Africains et de mots.

 

Récemment, une toile de BASQUIAT a atteint la somme record de 7,2 millions de dollars, il y a vingt ans, cette toile s'est vendue 10 000 dollars...

 

Musicalement, en se rapprochant de Prince, Miles essaye de moins faire reposer sa musique sur les lignes de basse. Très intelligemment, Prince présuppose qu’une ligne de basse, dans sa musique, revêt beaucoup trop d’importance, de prépondérance naturelle, il se dit entravé par cette ligne de basse.
Dans le même temps, les sons de grosse caisse et de kick sont harmonisés et traités dans des fréquences de sub basse pour parfois remplacer et étoffer dans le bas du registre le son de la basse.

La caisse claire, et les temps faibles peuvent être considérés comme les pivots rythmiques sur lesquels s'articulent les compositions et productions discographiques de Prince.

Quelques années auparavant, et dans le même ordre d’idées, Miles demandais souvent aux pianistes de moins jouer, de construire des accords avec moins de notes, ou de ne pas jouer du tout.

Cette absence de riff de basse, un peu difficile à admettre dans le monde du jazz et du funk, fait que les réverbérations de grosse caisse, et les nappes et sons de synthétiseurs prennent de plus en plus d’importance dans la forme et la pensée musicale de ces deux artistes géniaux.

1991 AROUND THE WORLD,
MILES DAVIS AT LA VILLETTE

Miles around the world qui sort en 1998, est un recueil de plusieurs enregistrements réalisés en public sous l’égide du label WARNER BROSS entre 1980 et 1991, c’est un excellent instantanné d’enregistrements réalisés en public durant cette décennie. Miles DAVIS pense toujours à collaborer avec PRINCE, dont il jouera quelques morceaux lors de concerts en 1991.
Lors d'un concert enregistré au Montreux Jazz Festival avec Quincy JONES, il accepte, contre espèces sonnantes et trébuchantes et à contre coeur, de rejouer des arrangements de Gil EVANS, mais il n’y croît pas et s’est surtout le trompettiste Wallace RONEY qui remplit son rôle.

 

Le dernier enregistrement live le plus convainquant de Miles DAVIS est sans doute celui réalisé le 10 juillet 1991 à la Villette à Paris, qui sort sous la forme d’un DVD produit par JVC et qui s’appelle Miles DAVIS at la Villette.

 

La qualité des enregistrements et des prises de vues est très bonne, autour de son groupe habituel, le JVC Festival a réuni un All Stars impressionnant, comprenant beaucoup de musiciens ayant accompagnés Miles tout au long de sa carrière.

Herbie HANCOCK, Wayne SHORTER, Joe ZAWINUL, John SCOFIELD, John Mc LAUGHLIN, Bill EVANS, Chick COREA, Dave HOLLAND, Al FOSTER, Steve GROSSMAN, Daryl JONES et Jackie Mc LEAN sont invités autour du groupe habituel, qui comprend Kenny GARRETT, Joseph FOLEY, Richard PATTERSON, Deron JOHNSON, et Ricky WELLMAN.

 

Plus le concert avance et plus les musiciens sont remarquables, Miles est impérial, les saxophonistes Bill EVANS, et Steve GROSSMAN sont très brillants, l’ensemble de la production est un hommage vibrant et très musical.

 

A 65 ans, moins agressif que par le passé, Miles DAVIS se sent plus assagi et moins sauvage, mais toujours aussi méfiant envers son prochain. Lui qui a grandit et vécu toute sa vie dans le monde de la musique et du jazz, considère que sa vraie famille est constituée des artistes musiciens qui travaillent et jouent avec lui. Dans sa vie et pour ses choix musicaux, c'est un instinctif, qui ressent et comprend certaines actions avant qu’elles n’arrivent. Expérience passe science, pourrait être un adage qui le nourrit, et lui permet de faire des choix artistiques selon son intuition.

A la fin de sa vie, Miles DAVIS se sent bien sur le plan créatif. Comme le dit et le fait Prince, pour construire sa musique il va « attaquer sur le premier temps ».

 

1988, 1991, DU COTE DU RAP AVEC DOO BOP,
UN PETIT TOUR ET PUIS S’EN VA

 

 

« Si quelqu’un veut continuer à créer, il doit se préoccuper de changer ».

 

 

Toujours en quête de nouveauté et de modernité, Miles DAVIS réserve toujours de sérieuses piques à certains de ses pairs, dont Winton MARSALIS, qui dit-il se contentent de reprendre de vieux standards et les plans qui les accompagnent.

« Quand j’entends aujourd’hui des musiciens de jazz reprendre les plans que nous utilisions il y a si longtemps, j’en suis triste pour eux ».

Miles exagère toujours les choses dans le sens qui l’arrange, il est vrai que le jazz piétine, mais pas plus ni moins que la plupart des styles musicaux, qui aujourd’hui peinent à se moderniser. L’exception vaut peut être aujourd'hui pour le Hip Hop, avec Beatnuts, Slum Village et le label Ninja Tune, et pour l'avant garde du Hip Hop, avec certains artistes comme Dabryie, Antipop Consortium, Harmonic 313, ou encore Flying Lotus, qui vont encore aujourd’hui puiser intelligemment et sans vergogne dans tous les styles de musique existants dont le jazz, et dans tous les sons et les samples du monde d’aujourd’hui.

 

En 1983, Herbie HANCOCK et Bill LASWELL font un carton planétaire avec le morceau Rock it.
Un solo de Rhodes Fender et l'harmonie du jazz se déroulent et viennent formidablement ponctuer le hit, Rock It c'est du Hip Hop teinté de jazz.

La production du morceau fait penser au tube Planet Rock de Africa BAMBAATAA and the Soul Sonic Force qui sort en 1982, ces deux titres sont aujourd'hui référents pour tous les breakdancers.
Les parties de scratch tiennent lieu de solo, les sons de la boîte à rythme TR 707 de chez Roland sont dominants, comme le son de la basse, mis en avant dans la production.

Miles DAVIS a peut être écouté ces morceaux lorsqu’ils sont sortis, en tout cas il était difficile d’y échapper.

 

 

A la fin de l’année 1989 Miles est malade et fatigué des tournées à répétition qu’il fait presque sans discontinuer depuis 1985. Il commence à parler de s’arrêter de jouer et de prendre sa retraite au milieu de ses chevaux mais…

« J’ai entendu dire que Max ROACH avait déclaré que le prochain Charlie PARKER sortirait peut être des rythmes et des mélodies rap ».

 

Miles décide d’expérimenter du côté du rap. Il pense que dans la musique, la danse et les arts, c’est l’approche des noirs qui ouvre la voie, que ce soit pour le breakdance, le graff ou le rap, les trois piliers du Hip Hop.

 

Il se rapproche du rappeur Easy Moe BEE, et tente une nouvelle et dernière fois de conquérir le public afro américain, qui se reconnait dans le sentiment de révolte lié au rap.
Depuis les années 50 et ses problèmes d'addiction à l’héroïne, Miles DAVIS a une posture de mauvais garçon du jazz, et avec l’album YOU’RE UNDER ARREST, il entretient une image de rappeur et il est dans une position de rebelle.

Il n’a jamais aimé les flics, par qui il s’est fait tabasser, il affiche ostensiblement des signes extérieurs de richesse qui lui valent brimades et contrôles au faciès, et son père est mort des suites d’un accident de voiture après lequel l'administration des hôpitaux tenus par des directeurs blancs n’avaient pas voulu l’admettre, etc...

 

Dés les années 80 et l’avènement de Cool DJ Herk, Grand Master Flash, la Zulu Nation, Public Enemy et A Tribe called Quest, le rap remplace et supplante le rock pour les classes sociales défavorisées et il représente l'esprit de rébellion.

Miles DAVIS caresse toujours l'espoir de représenter un icône pour les jeunes afro américains des ghettos.

 

Lorsqu’en 1989, il enregistre quelques parties de trompettes pour l’album de Quincy JONES Back On The Block, Miles rencontre Russell SIMMONS du label Def Jam.
Ce dernier produit depuis 1984 les rappeurs de PUBLIC ENEMY, les BEASTIE BOYS et LL COOL J, puis dans les années 90 METHOD MAN et JAY Z, Def Jam est le label phare du rap Américain.


Russell SIMMONS explique à Miles DAVIS que le système de production d’un album de Hip Hop, qui tourne en studio autour du producteur, du sampleur, du DJ et du Rappeur, est beaucoup plus simple et léger à mettre en œuvre que pour un album de jazz, mais il omet de parler de vidéo.

Miles est tenté d’autant plus tenté que Flavor Flav et Chuck D. de Public Enemy sont aussi de la partie.

Les boucles sont confiées à Easy Moe BEE, au jeune protégé du moment de Miles John BIGHAM, et au clavier Deron JOHNSON, Prince envoie des chansons, un double album est évoqué…

 

Voici ce qu’écrit le musicologue Harry PARTCH à propos du tempérament non égal dans la musique et les sons :
« La popularité du blues et des musiques d’Afrique et d’Asie, ainsi que les accords insolites qui peuvent naître de la superposition de samples désaccordés, ont facilité une ouverture croissante à la musique se démarquant du tempérament égal. La musique non tempérée est probablement plus répandue dans le monde que celle issue du tempérament égal, qui n’existe dans le monde que depuis Jean Sébastien BACH. »

 

A la fin des années 90, Miles DAVIS se laisse porter et influencer par les sonorités électriques de la basse et de la guitare, mais aussi par les sons synthétiques des claviers et les sons électroniques des batteries.

 

« Les musiciens prennent les sons et les incorporent à leur jeu, si bien que la musique qu’ils font est différente ; de nouveaux instruments rendent tout différent ».

« Le synthétiseur a tout changé, que ça plaise ou pas aux musiciens puristes. Il va durer, qu’on le veuille ou non ».

Les enregistrements commencent en juillet 1991, Miles improvise sur les boucles puis Deron JOHNSON rajoute des sons et des lignes de basse, six morceaux seulement sont enregistrés. Mais Miles DAVIS meurt le 28 septembre 1991.

 

L’album Doo Bop a un parfum d’inachevé, mais Miles a réussi son pari, le voilà dans les ghetto blasters et sur les épaules des rappeurs !

Le titre éponyme the Doo Bop song représente à lui seul un tournant musical dans l’itinéraire du trompettiste.

 

Une nouvelle fois Miles DAVIS déjoue les pronostics et s’inscrit puissamment dans l’histoire de la musique afro américaine.

L’INFLUENCE DE MILES DAVIS SUR LE HIP HOP
ET LA MUSIQUE ELECTRONIQUE

DOO BOP, qui sort en 1991, est un album de hip hop très funk et plutôt mélodique, qui a une couleur très Newyorkaise funk, la production va plus vers le funk de DJ Jazzy Jeff que vers les boucles déjantées de BEATNUTS.

Miles est très actif avec sa trompette. Le son de la boîte à rythmes est mixé en avant, le flow des rappeurs est très classique et l’ambiance harmonique est le plus souvent consonante, avec des refrains dans un esprit funky et des samples de guitare à la James BROWN. Le tout est parfois proche de Arrested Development ou de Tone Loc.

Le morceau 2, The doo bop song, sonne comme Summertime de Kool and the Gang, DJ Jazzy Jeff and the Fresh Prince. Le groupe US 3 va continuer un temps à jouer et à produire du hip hop dans cet esprit (Voir le morceau Cantaloupe island).

 

Le virage musical de Miles DAVIS vers le Hip Hop et la musique électronique est semble t’il avec un peu de recul, plus convainquant artistiquement que celui tenté vers le jazz rock athmosphérique avec les albums Amandla et Aura.

Il n’est pas déraisonnable de penser que l’album DOO BOP représente le début d’un courant posthume pour Miles DAVIS, avant lui peu de musiciens de jazz se sont frottés au hip hop, même si Herbie HANCOCK et Bill LASWELL ont fait un carton planétaire avec le morceau Rock It en 1983.
Dans les années 90, Branford MARSALIS s’est permis d’embaucher DJ Premier, mais c’est un des rares musiciens « star » du jazz et du circuit des grands festivals mondiaux qui ait osé le faire. Aujourd’hui encore, peu de musiciens de jazz s’aventurent à tourner avec un DJ.

 

L’album Bill LASWELL Miles DAVIS : Panthalassa The music of Miles Davis 1969 1974, est un des derniers montages posthumes de la musique de Miles. C’est une reconstruction limpide et géniale de sa période électrique qui sort en 1998 avec une production du bassiste Bill LASWELL.

L’enregistrement original, dans sa totalité, est réalisé entre février 1969 et juin 1974, par Téo MACERO, il s’appelle Panthalassa The Music of Miles Davis et sort initialement chez Columbia sous la référence 67909.
Bill LASWELL fait un remarquable travail de remasterisation de l’enregistrement initial.

 

Dans la foulée, il existe une multitude d’albums dans lesquels de nombreux musiciens et improvisateurs vont œuvrer, beaucoup de ces albums ayant un caractère bruitiste. Les musiciens improvisent et jouent sur des boucles samplées dans des disques de la période électrique de Miles.

LES INFLUENCES

Dans l’album Miles DAVIS PANTHALASSA the Remixes, seul le remix de DJ CAM est très convainquant. Dans son Album Substances Cool, les intermèdes entre les morceaux sont tous construits sur des boucles rythmiques tirées des albums du milieu des années 60, ESP et Miles Smiles. Le caractère éthéré et le climax de ses albums est idéal pour ces petits morceaux recréés.

Dans le même sens, le contrebassiste Ron CARTER qui a longuement joué avec Miles DAVIS a été énormément samplé jusqu’aux années 2000. Le morceau We got the Jazz du combo de rappeurs de New York A Tribe Called Quest, où le riff de contrebasse est la base du morceau, est un très bon exemple d’une production de rap down tempo réussie.

 

Toujours en l’an 2000, dans la musique électronique Jungle, des ambiances, des boucles et des sons de Miles DAVIS sont complètement intégrés dans les rythmiques puissantes et efficaces du DJ Ed RUSH.
Le morceau Pacman sur la compilation Ed RUSH and Optical Presents The CREEPS est un exemple très convainquant d'adaptation électronique Jungle d'un morceau issu d'un groove des années 70 de Miles DAVIS.

L’apparentement entre la musique Jungle ou Drum'n Bass et la musique de Miles dans les années 70 est évidente. Sur les albums de cette période, Miles DAVIS et le producteur Téo MACERO construisent des riffs et des grooves en prenant des extraits de sons et de phrases sur lesquels les musiciens improvisent longuement. Et de plus, certaines de ses boucles reviennent sur tous les morceaux d’un album, comme dans ON THE CORNER.

C’est avec ce même principe que les DJ’s de Jungle et de Drum’n Bass construisent leurs morceaux, avec des boucles répétées et mixées longuement, dans un esprit où dominent les montées d'énergie et la transe provoquée par des rythmiques lancinantes. Comme il s’agissait pour le public de se laisser happer par les grooves de Miles, de se laisser porter pour écouter les sons et les solos, et de se laisser imprégner par l’ambiance.
Pour la musique Jungle électronique, comme pour la musique électronique en général, il est possible de passer par-dessus la rythmique pour se laisser porter par le côté planant et répétitif qui se construit. Où bien, il faut danser…

 

 

Il est impossible d’écrire que Miles avait prévu que la musique électronique et le jazz allaient opérer une jonction, mais une fois de plus, en terme de création, l’instinct musical et artistique de Miles DAVIS fait qu’il se laisse porter et qu'il crée sans complexe ni barrières de nouvelles musiques.


Miles n'est absolument pas coincé dans une orientation artistique ni même dans une école stylistique et jazzistique pré définie, il s'est constamment donné le temps de la réflexion et a toujours bénéficié d'une grande liberté dans ses choix et orientations artistiques.


En opposition avec les vues de Branford MARSALIS et de Dave LIEBMAN, je ne m’interdis pas de penser que le virage électronique de Miles DAVIS vient du fait qu’en 1988, il est fatigué d’entendre les musiciens improviser. Il joue des morceaux et des mélodies de pop music dans tous ses concerts depuis l’album You’re Under Arrest et surtout depuis sa signature avec le label Warner Bross…

Que ce soit sur un canevas tonal, modal, free, électrique et funky, Miles a tout tenté, et de plus, quand il revient à la scène au début des années 90, il est usé par un usage immodéré de la cocaïne.

 

Il est débranché de la scène avant-gardiste New Yorkaise, mais même s'il se rend de temps en temps à la Knitting Factory, le club monté par l’excellent saxophoniste et compositeur John ZORN, il n’a sans doute aucune envie de revenir aux expérimentations bruitistes qu’il a incarné à partir de 1971.

A cause de ses multiples expériences des années 70, Miles identifie peut être à tord le côté expérimental de la musique, au mésusage des drogues et de l'alcool.

James Blood ULMER, Sonny SHARROCK, Ronald Shannon JACKSON, et John ZORN dans leur période " expérimentale free, et jazz core", sont aux antipodes de ce que Miles DAVIS a envie de jouer lors de son retour à la scène entre 1980 et 1991.

Il a peut être tout simplement envie de continuer à s’amuser...
De plus, il est fatigué, et il joue beaucoup moins, ses phrases sont de plus en plus courtes et les petits traits de blues et les ritournelles sont dominants dans son jeu. Le sérieux du jazz modal, et de la musique expérimentale à New York dans les années 90, représente certes un pas en avant important dans la musique et un pont novateur vers la musique classique, mais ce n’est sans doute pas assez dans l’air du temps pour Miles.

L’adage selon lequel quand on fait de la musique expérimentale, on est payé de retour en monnaie expérimentale, rentre évidemment en ligne de compte. Miles DAVIS a presque toujours été riche et il ne veut sans doute pas se priver de vouloir continuer son mode de vie luxueux.

 

Les projets qui suivent sont parmi les plus convaincants de la musique électronique d'aujourd'hui, dans le contexte d'une jonction réussie entre le monde du jazz, directement influencé par Miles DAVIS, et l'univers des musiques électroniques.

 

Le duo Français Cosmik Connection, avec le saxophoniste Gael HORELLOU et le batteur Philippe « Pipon » GARCIA, réussit parfaitement une symbiose entre jazz et musique électronique.
C'est de la musique Jungle Jazz, les morceaux sont extrêmement rapides et souvent très tendus dans l'écriture rythmique.

La richesse de la musique du duo passe par la modernité des thèmes, le placement rythmique des mélodies, et les solos sont tout à fait remarquables.
Les performances et l'intensité des concerts de Cosmik Connection et Kapt'n Planet sont époustouflants.

 

Toujours dans le monde du jazz d’aujourd’hui, et dans une veine électronique venue du label ECM et de l’Europe du Nord, le trompettiste Nils Peter MOLVAER avec son jazz atmosphérique est très inspiré par Miles DAVIS.

Le trompettiste propose des ambiances très éthérées selon les albums et les plages, il n'hésite pas à user des boîtes à rythmes aussi bien que des guitares électriques saturées.

La réverbération et les effets de souffle prononcés, s'allient pleinement aux boucles proposées par DJ Strangefruit.

 

Le son du trompettiste de musique expérimentale ambient Américain Jon HASSEL est aussi parfois sous l'influence du son de Miles.

Du côté du jazz électrique, le dernier projet en date de l'excellent trompettiste Français Medéric Collignon est aussi un hommage très bien réussi à la période des années 70 de Miles DAVIS, même si l'électronique est presque uniquement présente dans le jeu en solo du musicien.

En 2010, un des artistes phare de la scène Hip Hop est sans conteste le brillant DJ FLYING LOTUS. C'est le neveu d'Alice COLTRANE, le jazz est très présent dans ses boucles et il est constamment dans une démarche de recherche. Le groove fait partie intégrante de son univers, même si l'impression volatile de ses compositions demeure.
L'apparentement de sa démarche le relie plus au free jazz de Sun Ra qu'à l'univers de Miles DAVIS, mais il est impossible de ne pas le citer.

28 SEPTEMBRE 1991, FIN DE PARTIE

Au mois de septembre 1991, Miles DAVIS est victime de deux crises cardiaques successives. Sa famille proche l’aide jusqu’au bout, le trompettiste Clark TERRY, dont Miles était l’ami le soutient également.

Le 28 septembre, la seconde de ces crises cardiaques l’emporte.

 

D’après un de ses biographes de référence, le trompettiste Anglais Ian CARR, Miles ne veut absolument pas se laisser intuber lors de sa dernière hospitalisation.
Dans une ultime colère noire dont il est coutumier, il se débat avec le personnel hospitalier qui s’occupe de lui. Il ne se remettra pas de l’attaque cardiaque qui s’ensuit.

 

 

 

 

 

 

 

« Quand j’écoute Miles jouer, je vois des choses. J’entends chanter les oiseaux. Je vois et j’entends des rivières, des trains de nuit au moment où ils traversent un paysage du Midwest solitaire et nocturne. Je vois flotter dans l’air des femmes magnifiques, nues et habillées ; je vois des hommes élégants et des gangsters sur leur trente et un. J’entends des vieillards et des jeunes gens du sud discuter sur le perron après le coucher du soleil. J’entends des chevaux hennir et des chiens aboyer. La manière dont coule ce son, le sien, m’évoque une parade de gens branchés, d’une élégance magique, emportés par un flot sans fin d’éloquence, juste au moment ou le soleil se couche à l’ouest et ou toutes ces couleurs fabuleuses chantent leur refrain d’adieu au jour. A mes yeux, il était magique la première fois que je l’ai entendu, et il était magique à la fin, et il l’est toujours. »

Quincy TROUPE

 

L'héritage musical et discographique que laisse Miles DAVIS est immense.

C'est peut être le seul musicien, avec Duke ELLINGTON en son temps, à avoir initié autant de styles de musique et de jazz tout au long de sa vie.

La posture sociale qu'il a montré tout au long de sa carrière a été déterminante pour toute la population afro américaine et pour la communauté afro antillaise de part le monde.

 

A la fin de sa vie, Miles DAVIS dit que le peuple afro américain devra toujours se souvenir des exactions et du racisme dans lequel il a survécu, et qu’il subit encore aujourd’hui aux Etats Unis.
Il compare les situations analogues entre la persécution du peuple juif en Allemagne jusqu’en 1945, et l'ignominie des morts et des blessures infligées aux afro américains aux Etats Unis.

Dans cet ordre d’idée, beaucoup d’afro-américains pensent que les Etats Unis et L’Europe ne pardonneront jamais à Haïti et à son peuple de s’être libéré du joug de l’esclavage, et d’avoir montré le chemin de la liberté à tout le peuple Antillais, Afro américain et Africain.

Miles souhaite que de même que les juifs enseignent la shoah comme une horreur à ne jamais oublier, les afro américains ne doivent eux non plus jamais oublier les meurtres et les malheurs de leur histoire. En 1990, il dit à nouveau que l’autorité blanche au pouvoir doit cesser de leur faire subir de telles souffrances.

Vingt ans plus tard, on peut imaginer avec quelle joie sans bornes Miles aurait apprécié le symbole que fut l’élection de M. Barack OBAMA.